HISTOIRE DE LA MUSIQUE ET DES INSTRUMENTS



RHODES, WURLITZER, BALDWIN, YAMAHA... UN PANORAMA HISTORIQUE DES PIANOS ÉLECTRIQUES

Ils ont été électriques, puis électroniques mais aussi électroacoustiques, ces claviers-là souhaitaient ressembler au piano acoustique en tentant d’offrir quelques-unes de ses qualités. Pour survivre dans la durée, il était impératif que ces pianos d’un nouveau genre parviennent à trouver leur place sur scène et dans les studios. Grâce à des mains d'artistes reconnus, mais aussi grâce à leur couleur sonore particulière et reconnaissable, les pianos électriques ont depuis plus d'un demi-siècle imposé leur signature dans diverses productions musicales passées et présentes.


LE PIANO ÉLECTRIQUE SUR LE DEVANT DE LA SCÈNE

De nombreux facteurs se sont essayés à cet art difficile du piano électrique (1). Les tentatives pour approcher le son d’un piano acoustique, avec ses changements subtils de timbre d’une touche à l’autre, ainsi que sa richesse harmonique, se sont longtemps soldées par des échecs ; le premier objectif étant d’imiter sa dynamique grâce à des moyens électroniques. Pour devenir crédible, la meilleure solution qui s'est imposée a été de mêler aux procédés électroniques d'autres purement mécaniques ; donc, en reprenant avec plus ou moins de fidélité le système complexe du piano, mais en éludant, bien entendu, la caisse de l’instrument et les cordes.

C’est pour cette raison que dans la plupart des pianos électriques fonctionnent avec des marteaux. Ensuite, pour palier l’absence de la table d’harmonie et de la caisse de résonance, quelques micros judicieusement placés devaient permettre d’amplifier les signaux électriques provenant des lames mises en vibration sous l'action des marteaux. C’est sur ce principe de base que sont nés les pianos électriques Wurlitzer et Fender Rhodes ou encore le CP70 de Yamaha, avec cette nuance que ce dernier utilisera de véritables cordes de piano.

Ces pianos électriques et électromécaniques s’avéreront rapidement plus performants que leurs homologues électroniques en offrant aux musiciens la dynamique et un toucher parfois très proche du piano acoustique. De plus, par rapport au piano, les modèles électriques vont offrir quelques avantages qui séduiront le musicien qui arpente la scène :

  • Un encombrant réduit (certains sont démontables).
  • Un poids raisonnable, donc très avantageux lors d’une tournée.
  • Une installation rapide et une connectique fort simple.
  • Une sonorisation aisée et souvent indépendante.
  • Une tenue de l’accord moins capricieuse que le piano acoustique, donc une maintenance réduite.
  • Un prix abordable.

Les constructeurs désireux de cibler le grand public devaient produire également des claviers à usage non professionnel avec des designs gracieux et possédant des tonalités douces, agréables et passe-partout. Or ce manque de personnalité sonore allié à des critères insuffisants pour la scène (solidité, poids…) ont incité la majorité des musiciens professionnels à les ignorer au profit de pianos électriques comme le Rhodes ou le Wurlitzer, prenant ainsi à contre-courant toutes les études de marché.

Dans la plupart des cas, les claviers électriques ont été conçus de façon à remplacer le piano acoustique sur la scène quand ce dernier était absent. Bien sûr, cet argument a volé en éclat depuis l’apparition des claviers numériques et de l’échantillonnage. Toutefois, on remarque que le piano électrique est encore utilisé par de nombreux musiciens professionnels. Comme quoi, progrès technologiques ou pas, le piano électrique est devenu avec le temps un authentique instrument comme la guitare électrique ; un instrument qui conserve ses adeptes et qui ne peut être rapproché d’aucun autre type de clavier existant sur le marché : orgue, synthétiseur et workstation.

1 – L’appellation « piano électrique » est inexacte puisqu’il y a presque autant de procédés que d’appareils (électroniques, électromécaniques, électromagnétiques, etc.)


RHODES ET WURLITZER OF COURSE !

Le Rhodes (ou Fender Rhodes) est certainement le modèle qui réunit au mieux les qualités techniques du piano acoustique en le simplifiant. Le Rhodes fonctionne comme la guitare électrique, par induction de courant. Un marteau vient heurter une petite tige métallique fixée à un résonateur. Sa vibration est ensuite récupérée à l’autre extrémité par un micro avant d’être amplifiée par une source extérieure. L’idée de ce dispositif fort simple semblait très efficace, au point que son créateur, le constructeur Harold Rhodes, s’adjoignit les compétences du fabricant de guitares Léo Fender pour finaliser son premier modèle de piano électrique ; ce qui permit au Fender Rhodes de voir le jour.

Aujourd’hui encore, le Rhodes demeure le piano électrique le plus répandu sur scène, mais aussi dans les studios. Au fil des années, il a connu différentes versions, avec plusieurs étendues de clavier (principalement 73 et 88 notes). Ce qui le rapproche aussi du piano acoustique, c’est que chaque Rhodes possède ses propres caractéristiques. Grâce aux innombrables réglages que les musiciens peuvent opérer, le son obtenu peut être plus ou moins saturé, mais aussi plus ou moins brillant, comme s’il s’agissait de régler une guitare électrique.

© Daniel Spils - Fender Rhodes suitcase 73 notes

Son concurrent direct est le Wurlitzer. Cependant, si son mécanisme et son look sont proches de celui du Rhodes, la ressemblance s’arrête là. D’ailleurs, cette comparaison a toujours fait considérer le Wurlitzer comme le Rhodes du pauvre. Toutefois, le clavier cher à Ray Charles a beaucoup de personnalité. Il possède ses propres caractéristiques sonores et tonales. De plus, sa dynamique comme son toucher - plus doux que le Rhodes – le rendent très attachant. Malheureusement, le Wurlitzer n’existent plus sur le marché du neuf mais, en revanche, on en trouve encore dans l’occasion où, pour un prix raisonnable, on obtient un instrument de bonne facture.


QUELQUES LOUABLES CHALLENGERS

Aux côtés du Rhodes et du Wurlitzer qui tiennent le haut du pavé depuis des décennies, il a existé d’autres pianos électriques dignes d’intérêt. Certes, il est bien difficile d’oublier le Rhodes et le Wurlitzer quand tout un quota de musiciens célèbres les utilisent dans le jazz, le rock et la chanson. Pour autant, certains modèles ont été de louables challengers Par exemple, le Pianet Hohner.

En 1978, le père du Clavinet cher à un autre artiste également aveugle, Stevie Wonder, se penche sur le problème (mieux vaut tard que jamais !). La particularité technique du Pianet Hohner est d’utiliser des aimants. Bien entendu, avec le recul, on ne peut le comparer à ses aînés. Cependant, il saura tenir la dragée haute à tous les instruments électroniques situés dans la même gamme de prix… car le prix compte aussi, pour beaucoup, dans la réussite commerciale d’un instrument ! Le Pianet offre une dynamique de clavier tout à fait honorable et un son qui, s’il n’affole pas les foules, peut cependant tenir un certain rôle – même secondaire – dans un orchestre.

Hohner Pianet T


Un autre clavier électrique oublié : le Suzuki 88 notes. Au Japon, il n’y a pas que Yamaha qui fabrique des motos ! Pardon, des claviers ! Si Suzuki n’a pas le prestige de Yamaha, il n’en demeure pas moins le petit frère. Son piano électrique 88 notes s’avère de toute splendeur. Un design très « Plaisir de la maison » tout en restant très portable grâce à sa possibilité d’être séparé en deux parties pour en faciliter le transport (à l’image du CP 70 de Yamaha. Tiens, tiens !) Toujours dans un but d’esthétique absolue, Suzuki s’est donné un mal fou pour cacher les indispensables potentiomètres de réglage afin que l’instrument n’effraie pas les habitués du traditionnel piano droit. Ces boutons permettent l’accès à trois sonorités : piano (une imitation acceptable pour l’époque), piano jazz (au son plus « nasillard ») et enfin un son de clavecin (assez détestable). À ces trois sonorités, le Suzuki offre un effet chorus et un métronome. Le toucher est dynamique et l’ensemble constitue un instrument intéressant – certes pas renversant – mais qui a su en son temps plaire à de nombreux musiciens « en chambre ».

La marque Wersi est connue pour ses orgues révolutionnaires en proposant des modèles en kit. Ce qui l’est beaucoup moins, ce sont ses pianos électriques de la série Pianostar. Le modèle bas de gamme, le T, portable, se veut un instrument de scène, montrant sans honte une ressemblance plus que troublante avec le Rhodes. En milieu de gamme, on trouve le Upright qui, lui, s’apparente à un piano droit traditionnel et, enfin, le modèle Grand qui serait identique à un piano s’il ne lui manquait pas les cordes. La série Pianostar possède quelques singularités. Outre des sonorités qui vont du piano acoustique et électrique au banjo en passant par le clavecin et le kinura (?), toutes les voix sont mixables, ce qui permet de produire des sonorités, pour le moins, originales. Proche quelque part du synthétiseur en offrant un VCF, une pédale permet d’enclencher un vibrato et de « tirer » les notes à la façon hawaïenne en plus des pédales de tonalité et de volume. Un amplificateur de 100 watts par canal est présent. La série Pianostar est passée presque inaperçue… peut-être à tort.

Wersi Pianostar, modèle T (1981)


Il est évident que les grands progrès de l’électronique ont poussé des constructeurs à abandonner les pianos électriques au profit de ceux électroniques. Parmi ces tentations, citons le Quattro de Siel. Un clavier haut de gamme qui, au cœur des années 80, tentera de se rapprocher du concept des pianos électriques en ayant à son avantage 4 sonorités présélectionnées ajoutées à divers effets (chorus, flanger). La présence d’un égaliseur à cinq bandes était là pour affiner chaque sonorité ; un « accessoire » indispensable, surtout quand le musicien le combinait avec le contrôle de l’attaque. En bref, le Quattro Siel ne rejoignait pas le marché fleurissant du piano numérique, mais tentait une aventure solitaire à contre-courant. Il se rapprochait, par bien des côtés, des modèles de claviers électro-acoustiques et électriques, ce qui n’est pas un mince compliment !


YAMAHA ET KAWAI EN CONCLUSION

Nous l’avons dit, les pianos électroniques ont eu beaucoup de difficultés à s’approcher de la qualité sonore des pianos acoustiques. Seulement, les techniques progressent et l’une d’entre elles, la technique FM, a permis d’immenses progrès en la matière. Ainsi, la série PF Yamaha en employant cette technique, offrira, certainement pour la première fois, un piano électronique presque crédible quant à sa fidélité de reproduction. Au début des années 80, la série des PF, dont le PF15, peut être considérée comme un préambule aux futurs pianos échantillonnés Clavinova de la même marque. Cependant, citer une fois de plus Yamaha en ignorant les modèles CP70 ET CP80 serait une injustice. Véritable minipiano à queue, dotés de véritables cordes et d’un système analogue à celui du piano acoustique, Yamaha avait fabriqué dans les années 70 deux merveilles du genre dont la renommée n’est plus à faire puisque la plupart des musiciens professionnels se sont battus à l’époque pour en obtenir un exemplaire.

Avec ses deux pianos électro-acoustiques, Yamaha permettait au musicien de « jouer » avec l’amplification sans craindre les foudres du larsen. La marque nippone était parvenue à résoudre le problème en s’efforçant de réaliser un système de micros performants, adaptable à un piano « normal ». Ainsi, les CP70 et CP80 reprenaient les caractéristiques du piano acoustique au service de l’électrique.

Kawai EP308 Grand


Kawai, autre marque prestigieuse, s’est inspiré du même procédé avec deux modèles, EP308 Grand et EP608 Upright (modèle à queue et droit). Le modèle à queue reprend exactement le système des acoustiques Kawai qui n’ont plus à prouver leurs qualités. Le fabricant a volontairement limité les réglages avec seulement trois sonorités piano et un accessoire trémolo. En bref, le EP308 Grand s’apparente largement aux CP de Yamaha, si ce n’est qu’il n’est pas séparable en deux parties pour une meilleure portabilité. En ce qui concerne le son, le Kawai supporte fort bien la comparaison sauf peut-être dans les basses. En revanche, le petit frère, l’EP608 Upright, se présente sous la forme d’une valise à roulettes ; ce qui ne manque pas d’intérêt coté transport. Le toucher de qualité, également dynamique, provient directement du savoir-faire Kawai dans le monde de l’acoustique.

Néanmoins, pour que ce tour d’horizon soit le plus complet et le plus juste possible, quelques années avant la sortie des CP70 ET CP80 de Yamaha, la marque américaine Baldwin avait lancé sur le marché un véritable piano par sa mécanique, ses cordes et sa présentation. Baptisé le « Electro-Pro Piano », ce clavier-là était éminemment conçu pour la scène malgré ses 80 kg. Sa table d’harmonie et les chevalets avaient été remplacés par des micros disposés à la base du cadre métallique, mais le Baldwin conservait les cordes aux normes du piano acoustique : cordes filées pour les basses et triples cordes d’acier pour les médiums-aigus. Le Baldwin avait aussi les défauts du piano, c’est-à-dire que chaque déplacement de l’instrument réclamait un réglage de l’accord avant de s’en servir. Il a surtout été utilisé par les jazzmen à cause de sa sonorité particulièrement brillante.

Piano Web (05/2020)

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