TECHNIQUE ET MAO



LA SYNTHÈSE ET SES FORMATS ANALOGIQUES ET NUMÉRIQUES

Dans les années 60, les ingénieurs et techniciens de laboratoire avaient compris depuis fort longtemps que la supériorité des instruments acoustiques sur les synthétiseurs tenait surtout dans leurs grandes possibilités expressives ; qu’ils répondaient de manière sensible à toutes les sollicitations du musicien, alors que le synthétiseur n'avait pour seule expressivité que la diversité des timbres qu'il pouvait créer. C’est en partant de ce constat que les synthétiseurs analogiques puis numériques vont s’imposer dans la production musicale, d’abord frileusement, puis plus sérieusement durant les années 1970. Grâce aux progrès de l’électronique et de la miniaturisation, les claviers électroniques vont rapidement se diversifier et proposer différents concepts de synthèse sonore, l’un des plus connus étant la synthèse soustractive…


LA SYNTHÈSE SOUSTRACTIVE

La synthèse soustractive symbolise le mieux l'histoire des synthétiseurs analogiques. Son principe consiste à filtrer des signaux riches en harmoniques tandis que la pente de ses filtres détermine généralement l’efficacité sonore de l'instrument. S’exprimant en décibels par octave (dB/octave) ; la pente peut se définir aussi par le terme "pôle". Celui-ci fait référence au schéma typique d'un filtre ayant une pente de 6 dB/octave. Ainsi, on trouve des filtres 1 pôle (6 dB/octave), 2 pôles (12 dB/octave), 3 pôles (18 dB/octave) et 4 pôles (24 dB/octave). Additionner les pôles revient à placer des filtres identiques en série. On attribue à Robert Moog l'idée de mettre en série quatre filtres passe-bas, schéma désigné sous le terme de "cascade de Moog" et que l’on retrouve par définition sur la quasi-totalité des synthétiseurs de la marque (Minimoog, Polymoog...).

© Tone Tweakers - Le polymoog

Sur un synthétiseur soustractif, deux paramètres principaux permettent d'ajuster l'effet de filtrage : la fréquence de coupure qui est la fréquence à partir de laquelle le filtre va entrer en action et la résonance (disponible sur certains instruments), qui permet de faire entrer le filtre en auto-oscillation. Celui-ci se comporte alors comme un oscillateur. Il est également possible de modifier l'évolution temporelle de l'effet en adjoignant au filtre une enveloppe d'amplitude.

La synthèse soustractive peut prendre une autre source que le classique oscillateur délivrant des formes d'ondes périodiques simples, que celui-ci soit analogique ou numérique. À partir de la fin des années 80, nombre de synthétiseurs soustractifs vont utiliser des échantillons numériques comme source de synthèse. Il peut s'agir d'échantillons d'instruments acoustiques ou électriques, pris séparément (piano, guitare, orgue...) ou enregistrés ensemble (section de cuivres, de cordes...), mais aussi de voix ou de bruits divers.

À consulter : Les bases de la synthèse soustractive


LA SYNTHÈSE ADDITIVE

Reposant sur le théorème de Fourier : « Tout mouvement périodique complexe se décompose en une somme de mouvements périodiques simples (sinusoïdes) appelés harmoniques, et dont les fréquences sont des multiples entiers de la fréquence la plus basse (la plus grave), appelée fondamentale », la synthèse additive est l’une des plus complexes à mettre en pratique, puisque pour créer un son par synthèse additive, il faut ajouter les harmoniques souhaités à une fréquence fondamentale. Toute la difficulté consiste à calculer l'amplitude, la fréquence et les variations temporelles de ces harmoniques. Les systèmes numériques sont les seuls à avoir la puissance de calcul et la précision nécessaire à la création sonore par synthèse additive.

Pour être plus précis, toute la différence entre deux sonorités périodiques de même hauteur (déterminée par la fréquence de la fondamentale) est fonction du rang des harmoniques présents (fréquences), ainsi que de leurs amplitudes. Ainsi s’expose la notion de timbre qui fait la différence entre, par exemple, une note ‘La’ joué au piano et une note ‘La’ joué par une flûte, qui sont pourtant deux notes identiques avec une même fondamentale, mais si différente dans leur caractère et leur expression. D’autre part, si les mouvements apériodiques se décomposent également en un ensemble de mouvements périodiques simples, leurs fréquences ne sont plus des multiples de la sinusoïde la plus grave, mais des partiels. C'est notamment le cas dans les sons de percussions. Le son produit est dit alors inharmonique (ce qui ne l'interdit pas d'être éventuellement harmonieux).

Parmi les claviers électroniques à synthèse additive, nous avons tout d’abord le redoutable précurseur qu’est le 'RMI Harmonic Synthetizer' apparu au cœur des années 70. Ensuite, le K5 de Kawai qui intègre pas moins de 126 oscillateurs numériques, l'un produisant une fondamentale, les autres étant chargés de produire les harmoniques de rangs 2 à 125. Le système comporte cinq enveloppes de volume : la première agit sur l'ensemble des signaux, les quatre autres servent à contrôler l'évolution temporelle des harmoniques.

© Tone Tweakers - Le K5 de Kawai

Il existe d'autres systèmes possédant des fonctions plus avancées et des capacités de calcul bien supérieures au Kawai K5 comme le 'Computer Musical Instruments' de la société australienne Fairlight, dont les rares particularités à l'époque de sa sortie expliquent son coût exorbitant. La chance pour le musicien fortuné était d’avoir sous la main une workstation avant l’heure intégrant un échantillonneur, un séquenceur ainsi que plusieurs types de synthèse.

Outre les synthétiseurs additifs composés d'électronique numérique, il existe des logiciels informatiques permettant de faire de la synthèse additive. Toutefois, ils ne travaillent pas en temps réel : une fois les calculs effectués, il est nécessaire de transférer les données vers un échantillonneur qui sera alors capable de les interpréter. Certains échantillonneurs intègrent également la « transformée de Fourier », fonction permettant de séparer d'un son sa fondamentale et l'ensemble de ses harmoniques. On peut alors travailler chacune d'entre elles individuellement avant de recomposer la forme d'onde.

À consulter : La synthèse additive, fonctionnement et édition


LA SYNTHÈSE FM OU À MODULATION DE FRÉQUENCE

Liée aux technologies numériques, la synthèse FM repose sur le principe de modulation analogue à celui que l'on emploie dans la transmission radio sur la bande FM : on fait varier la fréquence d'une onde périodique, la porteuse, en fonction de l'amplitude d'une autre onde, la moduleuse. Toutefois, il existe quelques différences dont la principale se situent dans les gammes de fréquences employées et dans la méthode d'exploitation de la modulation : la bande FM de la radio utilise une porteuse dont la fréquence varie de 87.5 à 108 MHz et une moduleuse qui se situe entre 15 Hz et 20 kHz (la gamme de fréquences audibles), alors qu’en synthèse FM, porteuse et moduleuse travaillent toutes deux dans la gamme des fréquences audibles.

Lors de son utilisation, le rapport rationnel de modulation entre porteuse et moduleuse génère des harmoniques. Pour obtenir des partiels, afin de créer par exemple des sons percussifs, le rapport de modulation devra d'être irrationnel. Malgré la simplicité théorique du système et le peu de calculs nécessaires à l'obtention d'un signal, savoir programmer correctement un son par synthèse FM est toutefois une tâche délicate. Avec la synthèse FM, l'intuition qui était le propre de la synthèse soustractive n'est plus de mise. Une légère modification d'un seul paramètre peut modifier radicalement la sonorité obtenue.

Quand on évoque la synthèse FM, il est pratiquement impossible de détourner son regard de Yamaha, véritable leader dans ce domaine au cours des années 80. Les premiers synthétiseurs FM développés par la marque nippone utilisaient quatre ou six opérateurs délivrant des formes d'ondes sinusoïdales. Après s'être assuré d’avoir l'exclusivité du brevet, Yamaha devait présenter en 1983 le DX-9, rapidement remplacé la même année par un modèle bien plus performant, le DX-7.

© Tone Tweakers - Le DX7 de Yamaha

Dans les années qui suivront, des modèles plus évolués devaient apparaître avec des oscillateurs générant aussi des formes d'ondes carrées et en dents de scie. Cependant, le DX 7 restera la référence en conjuguant performance et prix abordable. Le clavier intègre six oscillateurs numériques nommés opérateurs générant une forme d'onde sinusoïdale périodique de fréquence et d'amplitude ajustables. Chacun de ces opérateurs peut être défini comme porteur (il délivre alors une onde porteuse) ou comme modulateur (délivrant une moduleuse). Le schéma de connexion entre oscillateurs est dénommé algorithme (un mot bien à la mode de nos jours). Chaque opérateur est associé à une enveloppe qui permet de faire varier son amplitude lorsqu'il est modulateur ou son volume lorsqu'il est porteur.

Quand Yamaha cédera son brevet, certains constructeurs se mettront à produire leurs synthétiseurs FM. Citons Elka avec les modèles EK22 et EK44 et Korg avec le 707 et le DS8 ; des claviers arrivés sur le tard pour ne pas dire trop tard, la suprématie incontestable de la série DX ayant déjà saturé le marché.

À consulter : Maitriser la synthèse FM et sa programmation


LA SYNTHÈSE PAR DISTORSION DE PHASE

Apparue à la même époque que la synthèse FM, la synthèse par distorsion de phase utilise un algorithme qui provoque une distorsion de la phase du signal d'origine : des oscillateurs numériques lisent à une vitesse inverse à celle de la fréquence désirée des listes de valeurs correspondant à l'amplitude d'une onde sinusoïdale. Pour distordre la phase, il suffit donc de faire varier la vitesse de lecture.

Ce procédé permet de générer toutes les formes d'ondes périodiques simples (dents de scie, carré, impulsions...) mais aussi des formes d'ondes plus complexes composées d'ondes simples (double sinus, trapèze, dents de scie plus carré, etc.). Cette technique peu coûteuse permet d'établir, à l'inverse de la synthèse FM, une relation plus empirique avec le processus de création sonore, et plus conforme aux habitudes des musiciens.

La synthèse par distorsion de phase est au départ une exclusivité de la marque japonaise Casio. Le premier modèle utilisant cette technologie, le CZ 101, est apparu en 1985. Plusieurs modèles de la série CZ seront produits jusqu'en 1988 - notamment le CZ 1, le CZ 5000 - qui intègre un séquenceur – et le VZ1, dernier synthétiseur à distorsion de phase de la marque à avoir vu le jour.

Casio n'a pas persévéré dans la distorsion de phase, à sa place la société a concentré ses efforts dans le domaine des claviers arrangeurs et des claviers numériques intégrant des sons d'instruments acoustiques et électriques avec système d'accompagnement automatique. À ce jour, aucun autre constructeur n'a jamais produit de synthétiseur utilisant le procédé de distorsion de phase.

© Tone Tweakers - Le CZ1 de Casio


SYNTHÈSES ET VARIATIONS


Le cas de la synthèse par formants

Développée à l'IRCAM et destinée à l'origine à simuler les voix chantées, cette synthèse a été ensuite étendue à d'autres familles de sons. Les formants peuvent être considérés comme des filtres. Si dans la synthèse soustractive on part d'un signal sonore et l'on mesure ensuite la modification apportée par le filtrage pour obtenir le son désiré, dans la synthèse par formants, source et filtre sont simulés et l'on calcule directement le son à obtenir. Cette technique permet de superposer plusieurs formants, ce qui s'avère plus délicat avec des filtres.

La modulation matricielle

Le principe de modulation matricielle n'est pas un système de synthèse, mais plutôt un système de contrôle des modules servant à générer le son synthétique. À l'instar des synthétiseurs modulaires, composés de divers modules connectables entre eux, la modulation matricielle permet de créer des connexions variées entre les modules du synthé (LFO, enveloppes, etc.). En fait, il s'agit d'une méthode extrêmement flexible pour avoir le contrôle du son.

La modulation matricielle permet d'assigner la plupart des contrôleurs de l'instrument (clavier, molettes, enveloppes...) à des paramètres sensibles (filtre, LFO, amplificateur...). Les synthétiseurs intégrant la modulation matricielle offrent généralement une souplesse d'utilisation et une palette de possibilités créatives très étendues à l’image de l’Oberheim XPander, du Korg Wavestation ou du Kurzweil K2000.

La table d'ondes

On attribue à Wolfgang Palm, créateur de la firme allemande PPG, l'idée du principe de lecture par table d'ondes : utilisant le schéma standard du synthétiseur, le système de table d'onde vient remplacer le classique oscillateur, délivrant des formes d'ondes simples, par une mémoire contenant des échantillons numériques de formes d'ondes, chaque échantillon étant plus ou moins différent de l'autre.

La table d’onde consiste à enchaîner en lecture plusieurs formes d'ondes différentes, avec des degrés de fondu variables entre chacune, afin de créer un effet de modification du timbre de la sonorité finale ou, au contraire, des changements brutaux de tonalité. Les systèmes de table d'ondes les plus évoluées permettent en outre de régler des points de bouclage en lecture, de synchroniser cette même lecture à un tempo défini.

Les premiers synthétiseurs ayant utilisé cette technologie seront les PPG Wave. D'autres constructeurs, comme Korg avec le Wavestation ou Waldorf avec le Microwave, ont adopté ce système, couplé généralement à d'autres procédés de synthèse.

© Tone Tweakers - Le PPG Wave

La synthèse vectorielle

Utilisant habituellement un joystick pour prendre le contrôle de l'effet, la synthèse vectorielle n'est pourtant pas à confondre avec les systèmes de modulation matricielle utilisant le même type de contrôleur. La synthèse vectorielle est en fait, à l'instar de la modulation matricielle, plus un système de contrôle du son qu'un système de modification ou de création du timbre final par des processus électroniques.

Contrôlant deux ou quatre sources sonores (oscillateurs, échantillons, opérateurs FM), la manette permet simplement de mixer le volume de chacune d'entre elles. Comme il s'agit d'un joystick, le fait de déplacer le curseur vers un point augmentera le volume du générateur associé à ce point, tandis que celui associé à son opposé se verra diminué dans des proportions inversement identiques. Il est à noter qu'il est également possible d'intervenir sur l'accordage des éléments.

Intégrant un système d'enregistrement de la position du joystick, permettant de stocker plusieurs secondes de manipulation et de boucler tout ou partie des événements stockés, associée à un système de déclenchement au clavier, la synthèse vectorielle permet des effets sonores très intéressants. La vitesse de lecture du déplacement enregistré est par ailleurs modifiable. Quelques instruments proposent cette synthèse, dont le Prophet VS de Sequential Circuits Inc. et, dans une autre catégorie, le Yamaha SY 22.

LA SYNTHÈSE MORPHING

Le morphing, développée par le constructeur américain E-Mu, utilise comme base technique le composant nécessaire à la synthèse soustractive, c'est-à-dire le filtre. La synthèse par morphing implique l'utilisation des technologies numériques, les seules capables de générer les calculs nécessaires. Le morphing ne se limite pas au classique filtre 4 pôles de la synthèse soustractive, mais offre plusieurs filtres ayant des pentes pouvant atteindre 14 pôles !

Le processus de morphing, consiste comme pour le traitement image, à créer une transition d'un état à un autre via l’utilisation de filtres. Divers paramètres permettent de régler la vitesse de transition, le nombre d'étapes et les profils de filtrage pour chacune de ces étapes. Nombre de schémas de connexion entre filtres sont possibles.


LA SYNTHÈSE À MODÉLISATION

Après avoir fait exploser la synthèse soustractive avec sa synthèse FM en 1983, Yamaha devait refaire parler de lui en 1994 en présentant un synthétiseur utilisant une toute nouvelle synthèse basée sur la modélisation d'instruments virtuels.

La grande force de la synthèse par modélisation virtuelle est d’être le premier procédé de "synthèse acoustique" offrant un réel contrôle expressif du son produit. Cette synthèse utilise comme source des modèles de phénomènes physiques observés sur des instruments acoustiques et traduits en algorithmes. La grande nouveauté du procédé inventé par Yamaha est sa capacité à travailler en temps réel, procédé qui nécessite des unités de calcul particulièrement performantes.

© Tone Tweakers - Le VL 1 de Yamaha

Une fois l'algorithme choisi, le son est créé à partir de divers paramètres : la pression, qui est l'énergie produite sur l'instrument, l'embouchure, qui est le type de contrôleur virtuel de l'instrument (le bec d'une flûte, l'archet d'un violon...), l'amortissement de l'air dans le corps de l'instrument... Ces contrôleurs peuvent être associés de multiples façons. D'autres modules assistent les contrôleurs tels que l'ajout de souffle, le filtre (à l'instar de la synthèse soustractive), la hauteur et le vibrato. L'ensemble de ces paramètres est modifiable en temps réel.

La synthèse par modélisation intègre en fait deux modèles de synthèses utilisant le même principe, mais n'offrant pas les mêmes contrôles ni les mêmes sonorités : le procédé dit à oscillations entretenues est particulièrement destiné à concevoir des sons d'instruments à cordes frottées ou à vent. Le procédé dit à oscillations libres, est lui réservé aux sons percussifs et aux cordes frappées.

Le premier synthétiseur à modélisation virtuelle commercialisé sera le VL 1 de Yamaha, en 1994. Polyphonique à deux voies, c'est un instrument soliste. Dès l'année suivante, d'autres constructeurs se mettront aussi à ce type de synthèse tout en proposant des claviers moins onéreux avec une partie modélisation plus limitée que celle du VL 1, mais offrant d'autres procédés de synthèse complémentaires comme le Korg Prophecy.

À consulter : Les synthétiseurs à modélisation physique

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