HISTOIRE DE LA MUSIQUE ET DES INSTRUMENTS



LES SYNTHÉS ET LES CLAVIÉRISTES DE L'ALBUM "THRILLER" DE MICHAEL JACKSON

L'album "Thriller", universellement reconnu comme l'un des meilleurs albums de tous les temps, a réuni pour sa réalisation une équipe extrêmement créative. De Michel Jackson à Quincy Jones jusqu'aux musiciens et techniciens du son, tous les intervenants ont eu pour unique objectif de produire un disque hors norme. Cet article revient sur sa genèse, et plus particulièrement sur la place réservée aux claviers.


GENÈSE DE "THRILLER"

Quand on évoque l'album "Thriller", les superlatifs abondent. La qualité des compositions, des arrangements, du son aussi, sans compter la performance des musiciens invités (Paul McCartney, Steve Lukather, Eddie Van Halen, Jimmy Smith...), justifient certainement le top 10 atteint par les cinq chansons sur les six extraites en single : "Billie Jean", "Beat It", "Humain Nature", "The Girl Is Mine" et "Wanna Be Startin' Somethin". En charge de la direction des sessions d'enregistrement, nous trouvons Quincy Jones, un orfèvre en matière d'arrangement.

Dans cet album d'exception, les claviers électroniques ont joué un rôle déterminant. Pour Quincy, le premier, les synthétiseurs sont perçus comme des instruments novateurs, capables de bousculer les traditionnels assemblages orchestraux. Ils seront pas moins de douze claviéristes (et programmeurs) à être impliqués dans le projet. La plupart sont des « requins » de studio : Greg Phillinganes, Michael Boddicker, Steve Parcaro, David Paich, Bill Wolfer, Brian Banks, David Foster, Greg Smith, Anthony Marinelli, Tom Bahler, Rod Temperton et en invité surprise James Ingram, également choriste.

La première raison pour laquelle il y eu autant de claviéristes s'explique par les innombrables possibilités techniques offertes par les synthétiseurs. La seconde provient des musiciens eux-mêmes. Pris individuellement, ce sont des instrumentistes qui possèdent une approche relationnelle et technique des claviers sensiblement différente, ce qui contribue à fabriquer un mélange propice à enflammer la créativité. Quincy Jones en était conscient et savait s'en accommoder. Il possédait déjà derrière lui un long passé de chef d'orchestre et de producteur. De plus, cet homme de terrain a toujours su saisir les opportunités quand elles se présentaient, surtout dès qu'elles concernaient la créativité.

Avant que Quincy n'entame le processus d'enregistrement dans le studio de "West-Lake Audio" (aujourd'hui "Westlake Recording Studios"), Michael Jackson et le pianiste Rod Temperton avait produit les démos de seize chansons qu'ils avaient écrites pour l'album. Par exemple, pour le titre "Beat It", Jackson avait interprété les différentes voix, "programmé" la boîte à rythmes ainsi que la ligne de basse dans son home studio — cette dernière devenant ultérieurement, lors des séances, une combinaison entre une basse électrique et un synthé Synergy.


BEAT IT (démo)
(On note dans cet extrait, la base construite du chant et des chœurs de la future chanson)

Toutefois, ces démos étaient incomplètes. La partie la plus importante, la mélodie, contrairement à l'exemple ci-dessus, était parfois absente. Jackson ne procédait pas comme d'autres chanteurs. Il avait en tête le son qu'il désirait et les idées fusaient. Quand il arrivait en studio, le chant n'était pas "couchée" sur une partition. Il l'enregistrait, et le jour venu, il la faisait écouter ou la fredonner en se la remémorant. Éventuellement, certaines "parts" se transformaient en partitions utilisées par les musiciens durant les sessions d'enregistrement.

Il existait donc une forme d'improbabilité dans la réalisation finale des chansons. Les décisions étaient prises en cours de route et exigeaient une détermination réelle pour aboutir. D'ailleurs, lors des essais de la chanson "P. Y. T. (Pretty Young Thing)", il y aura bien des improvisations, Michael Jackson chantant avec un microphone à la main dans la « cabine son » avec les haut-parleurs en marche.

Bruce Swedien, qui a travaillé sur la majorité des enregistrements de Michael Jackson raconte : « Michael était le musicien le plus concentré que j'aie jamais connu, avec une éthique de travail surnaturelle ! Il faisait quelque chose encore et encore jusqu'à ce qu'il ressente la perfection. En même temps, c'était un être chaleureux, totalement respectueux de votre temps et de vos idées. Il écrivait les paroles et les chantaient de mémoire. Il n'avait pas de feuille de paroles devant lui. Je ne me souviens pas non plus qu'il se soit jamais présenté à une session en retard ; il était généralement en avance. » (Keyboard US, janvier 1984)

De son côté, Quincy Jones, peut-être plus réfléchi, pensait et pense constamment en couleurs, en termes d'image. Pour tout dire, le trompettiste et chef d'orchestre a sans relâche écrit de la musique. Il entend une partie et, aussitôt, il la note sur un morceau de papier. Avec Michael Jackson, ils formaient un duo d'artistes complémentaires, ce que l'album précédent, "Off The Wall", avait annoncé.

© wikimedia - Le Yamaha CS-80 utilisé pour l'enregistrement des cordes sur "Human Nature".

À leur arrivée à "West-Lake Audio", les maquettes de "Thriller" repartiront de zéro, mais leur développement se basera sur les démos originales, en partant d'abord de la batterie, puis en posant la ligne de basse et un premier clavier. Le son de la boîte à rythmes sera parfois le résultat d'une combinaison entre une Linn LM-1 et une Roland TR-808. L'obtention du son de basse viendra d'un Minimoog doublé par la basse électrique de Louis Johnson. La synchronisation s'effectuait grâce à un procédé inédit, un prototype baptisé "Doctor Click". Une fois le "drumtrack" construit et enregistré, le plus souvent, c'est le pianiste Greg Phillinganes qui se mettait au clavier pour interpréter en prise directe la partie. Ainsi, avant de pousser plus loin la réalisation d'un titre, le rythme et l'harmonie étaient établis.

Quincy demandait aux musiciens de « faire ce qu'ils font de bien », qu'il s'agisse de programmation, pour obtenir un son unique et original, ou à travers leur feeling, quand le moment de jouer arrivait. Sur la majorité des titres, la rythmique sera assuré par Jeff Porcaro ou Leon Chancler à la batterie, Louis Johnson à la basse, Greg Phillinganes et Michael Boddicker aux claviers, et David Williams ou Paul Jackson pour la guitare. Mentionnons aussi l'utilisation du séquenceur Roland MC-4 qui jouera un rôle déterminant.


L'ENREGISTREMENT DES CLAVIERS

Lorsque l'album "Thriller" sort chez "Epic Records" le 30 novembre 1982, les synthétiseurs ont déjà atteint leur vitesse de croisière. La plupart des claviers utilisés sont encore analogiques, mais le numérique est en bonne voie avec les premiers échantillonneurs (Emulator) et l'arrivée de la synthèse FM (Yamaha GS1).

Au départ, les claviers utilisés n'ont rien d'exceptionnel. Ce sont des modèles du commerce, allant du haut de gamme : Roland Jupiter 8, Yamaha CS-80 et GS1, Minimoog, Sequential Circuits Prophet-5, Synclavier... jusqu'au simple portasound de Yamaha (utilisé dans "P.Y.T (Pretty Young Thing)"). C'est avant tout dans leur usage que toute l'équipe rassemblée autour de Michael Jackson et de Quincy Jones compte se démarquer sur le terrain créatif. Ce qui suit, le démontre parfaitement. Chaque chanson révèle aujourd'hui de tout petits détails de leur fabrication, mais des détails qui comptent !

THE GIRL IS MINE

En ouverture de la chanson "The Girl Is Mine", on peut distinguer un bel effet de cloche "glissando" créé par le compositeur Amin Bhatia (non crédité), un ami de David Foster, à partir d'un Jupiter 8. Notons également le cor sur le pont de la chanson réalisée avec le Yamaha CE20 qui a nécessité un triple trackedit.


P. Y. T. (PRETTY YOUNG THING)

P. Y. T. (PRETTY YOUNG THING)

Autre exemple de fabrication sonore, mais ici plus poussé, pour les chœurs de "P. Y. T. (Pretty Young Thing)". Il sera réalisé avec l'utilisation combinée de deux vocoders Bode et Roland, et d'un Prophet 5. Ces différents claviers seront mixés avec les "oohs" et les "aahs" de la voix de Michael Jackson sur bande et replacés dans l'Emulator d'E-mu.

Le synthé qui répond au refrain vocal est réalisé avec l'utilisation d'un effet de pitch bend issu du Roland Jupiter 6, lui-même doublé avec un Sequential Circuits Prophet-5, ce qui produit un frottement sonore assez particulier. Pour la réalisation du pad luxuriant situé après que Jackson ait chanté « I'll take you there... », celui-ci ne provient pas d'un assemblage réalisé sur plusieurs pistes, mais d'un échantillon unique de la voix de Jackson capturée à l'aide de l'Emulator d'E-Mu.

BEAT IT

Le gong numérique en ouverture de "Beat It" provient du Synclavier. Tom Bahler a interprété la partie avec le patch d'usine sans correction, sauf que le choix de la sonorité vient s'appliquer précisément au bon endroit et au bon moment dans le déroulement de la chanson. La stratégie de production de Quincy Jones consistait à réunir une équipe de personnes capables d'écrire, d'arranger et de produire des disques, ce qui était le cas de Tom Bahler (il est l'auteur de plusieurs chansons pour The Carpenters, Cher, Bobby Sherman... sans compter plusieurs musiques de films).


HUMAN NATURE

HUMAN NATURE

Pour le titre "Human Nature", les lignes essentielles, le solo et la plupart des "tracks" sont de Steve Porcaro — issus d'une démo qu'il a écrite quand il avait 17 ans. La partie des cordes a été enregistrée avec un Yamaha CS-80. Celui-ci utilise un glide chromatique au lieu d'un portamento et une "fuzz" servant d'enveloppe placée en layer. Cet assemblage particulier sera également utilisé dans le titre "Billie Jean". Michael Jackson a participé à cette partie. Pas de séquenceurs ni de correction de temps. Sept minutes non-stop, parfaitement mis en place !

THRILLER

Le « gros son » qui entame le titre "Thriller" provient d'un Roland Jupiter 8 en mode double (2 fois quatre voix), avec la molette de modulation ouvrant le filtre à son maximum puis en le refermant. Le résultat produit un timbre et un accord légèrement différent à chaque fois. Quant à l'origine du « cri du loup », le pianiste Greg Phillinganes avait précisé dans la presse qu'il n'y avait eu aucun trucage sonore, et que le cri provenait d'un enregistrement réalisé par Michael Jackson chez lui, un jour de repos.

Mentionnons pour conclure, la basse synthé qui court sur les titres "Thriller", "P.Y.T (Pretty Young Thing)" et "Wanna Be Startin' Somethin", et qui provient de deux Minimoog modifiés par Richie Walbaurn, placés côte à côte, et utilisant une compression réglée par l'ingénieur du son Bruce Swedien.

par ELIAN JOUGLA (Piano Web - 01/2023)

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