HISTOIRE DE LA MUSIQUE ET DES INSTRUMENTS



LES CLAVIERS DES BEATLES, DU CLAVIOLINE AU MOOG

Si les Beatles ont été les héros de la « Pop Music » et si une bonne partie de leurs chansons sont connues du grand public, le groupe allait devenir également dans l’histoire de la « Rock Music » d’impétueux chercheurs dans le domaine de la création sonore. Officiant dans les studios d’Abbey Road, à Londres, aux côtés du producteur et musicien George Martin, les Beatles comptaient bien révolutionner la façon de travailler le son. Outre les classiques guitares, basses, batterie et percussions, les Beatles n’étaient pas les derniers à utiliser les différents claviers mis à leur disposition pour créer des effets sonores ou des couleurs orchestrales inédites.


DES CHANSONS ET UN CHANGEMENT DE CAP

En écoutant la discographie des Beatles, on est saisi par l’évolution musicale de ce groupe d’exception qui, en moins d’une décennie discographique, de 1961 à 1970, a su devancer avec audace et aplomb son époque. Balayant les codes en vigueur, la volonté qu’ils ont déployée pour réformer certaines approches techniques et conceptions dans le domaine du son ont permis à la « Rock Music » de s'enrichir d'œuvres plus élaborées.

Si la structure de leurs chansons conserve un certain classicisme (par opposition au rock progressif qui suivra), l’oreille du musicien attentif remarquera que le changement d’orientation du groupe se situe surtout au niveau du traitement sonore et des multiples trouvailles qui jalonnent la seconde partie de leur carrière.

À partir de l’album Revolver (1966), les « sages Beatles » changent de look et amorce une attitude bien différente. Désormais, leur ambition colle davantage à la musique psychédélique plutôt qu’au rock pur et dur. Ils comprennent que le son est en passe de devenir un outil de création supplémentaire qu’il ne faut pas négliger, ce que confirmera l’album suivant, Sgt. Pepper's Lonely Hearts Club Band, en 1967.

Aujourd’hui, on ne peut être qu’admiratif sur le travail de création sonore apporté par les Beatles en un temps aussi bref. Motivé par la collaboration avec George Martin, le groupe testait tout ce que la technique pouvait alors offrir. En studio, les Beatles avaient droit au meilleur équipement et les claviers ont joué un rôle important dans le résultat final de nombreuses chansons : piano acoustique préparé (In My Life), orgue Vox (I’m Looking Through You), Hohner Pianet (I Am the Walrus), Mellotron (Strawberry Fields Forever) ou encore synthé Moog (album ‘Abbey Road’).


L’UTILISATION DU PIANET (1965)

De fabrication allemande, le Pianet de Hohner a été utilisé notamment dans l’album Help par Lennon et McCartney. Le modèle utilisé par les Beatles était le modèle Pianet C. L’instrument était muni d’une caisse en bois classique et des pieds en forme de « table basse ». On peut entendre le Pianet C dans Tell Me What You See, You Like Me Too Much, You Have to Hide Your Love Away ou encore dans The Night Before.

Le pianet de Hohner

Si Hohner est connu pour ses harmonicas, le Pianet C n’est pas le premier clavier électrique de la société - le premier étant le Cembalet en 1958 -, toutefois, le Pianet est équipé d’un mécanisme particulier qui le différencie du Cembalet. Chaque clé est reliée à une courte tige de métal munie d'un tampon adhésif en cuir et mousse à l'extrémité. Le tampon repose sur une fine lamelle et lorsqu'une touche est enfoncée, le tampon se décolle de la lamelle, qui se met à vibrer. Le son produit est ensuite amplifié. La sonorité du Pianet C possède un timbre distinctif et percutant, vaguement inspiré par le son du piano.


L’UTILISATION DU VOX CONTINENTAL (1965)

Lors de l’enregistrement de Help, un orgue portable allait « concurrencer » le Pianet de Hohner : le Vox Continental. Ce clavier, utilisé par Lennon, on peut l’entendre sur la face B du 45 tours de Help, dans la chanson I’m Down, mais aussi dans I Look Through You de l'album Rubber Soul. On reconnaît sa sonorité unique, typée années 60 avec son vibrato intégré.

Le Vox Continental utilisé par les Beatles comprenait un clavier 4 octaves, mais sa particularité esthétique était d’avoir la couleur des touches inversée (à l'image de certains modèles de clavecin), sans autre raison particulière, si ce n'est pour renforcer le design de l’instrument avec son cadre chromé et son plateau orange vif. L'orgue, ainsi décoré, possédait un look futuriste.

L’orgue Vox Continental sera utilisé également par d’autres groupes : Manfred Mann, The Animals (The House of the Rising Sun), The Zombies, The Blues Magoos… Prédisposés à jouer les démonstrateurs, les Beatles devenaient un moteur pour les groupes naissants ou confirmés en popularisant de nouveaux instruments.

* Notons aussi que c’est à cette époque que George Martin allait jouer un rôle dans l’orientation musicale du groupe en proposant un premier arrangement pour cordes (Yesterday).


L’ARRIVÉE DU MELLOTRON (1966)

À la fin de 1966, les Beatles utilise le Mellotron pour enregistrer Strawberry Fields Forever et, une fois de plus, vont inciter d’autres groupes à s’en servir, notamment The Moody Blues et King Crimson.

John Lennon est certainement des quatre membres celui qui a été le plus à l’affût des évolutions techniques. Tout ce qui touchait à la recherche sonore le passionnait. L’utilisation du Mellotron lui revenait. Il sera d’ailleurs l’un des premiers artistes anglais à s’en servir en achetant dès 1965 le Mellotron Mark II, l’un des premiers modèles du marché.

Le Mellotron (modèle FX400)

Précurseur de l’échantillonnage, le fonctionnement du Mellotron repose sur celui du magnétophone à bande, sauf qu’ici chaque touche déclenche une piste magnétique enregistrée indépendante, simulant précisément la hauteur d’un son ou d’une note relative à un instrument d’orchestre. Quand une « cassette » est chargée, et en appuyant sur une ou plusieurs touches, l’utilisateur peut entendre soit des cordes, des cuivres, des passages musicaux entiers, etc. Toutefois, le son s’arrête au bout de quelques secondes. Le Mellotron était en fait le successeur du clavier Chamberlin, une invention américaine qui avait été conçu à la fin des années 40 par Harry Chamberlin.


SGT PEPPER’S ET EXPÉRIMENTATIONS (1967)

Sgt. Pepper's Lonely Hearts Club Band, qui a aujourd’hui plus de 50 ans, fourmille d’idées et d’audaces. Au cours des différentes sessions d’enregistrement, de nombreux claviers seront utilisés… Des nouveaux : les Hammond L-100 (1) et RT-3 (avec Leslie), un orgue Lowrey et d’autres déjà employés dans les précédents disques : un piano à queue Steinway, un piano droit Challen, un harmonium, et bien sûr le Mellotron Mark II et le piano électrique Hohner Pianet C.

Le 17 février 1967, le groupe enregistre les fondations du titre Being For the Benefit of Mr Kite ! ; morceau composé au départ d’une basse, d’une batterie, ainsi qu'un harmonium joué par George Martin. Lennon, qui chante la voix guide permettant de tracer la chanson (voix destinée à être remplacé plus tard), explique à George Martin son désir de créer un bruit étrange, un mix de fête foraine et de cirque dans la chanson.

Pour arriver à produire l’effet sonore, Martin trouve des enregistrements d'archives faisant entendre des sons d’orgue de barbarie. Une fois transférée sur bande, le producteur demande à l’ingénieur du son Geoff Emerick de découper les bandes pour ensuite les mélanger et les jeter en l'air. Une fois tombée au sol, Emerick reçoit pour instruction de réassembler les morceaux de ruban dispersés de manière aléatoire, afin de créer ce fameux son de champ forain tourbillonnant et disjoint que vous et moi pouvons entendre dans le déroulement de la chanson.

Les travaux d’expérimentations sonores se poursuivent… Alors que pour l’ouverture de Lucy in the Sky With Diamonds, McCartney utilise un nouvel orgue, le Lowrey Heritage Deluxe DSO (2), un accord de piano brutal est ajouté à la fin de A Day in the Life...

Pour obtenir cet effet impressionnant, McCartney, Lennon, Starr et l’assistant des Beatles, Mal Evans, s’assoient sur les trois pianos présents dans le Studio 2… tout en jouant simultanément le même accord de mi majeur, permettant ainsi au son retentissant des trois pianos de sonner pendant plusieurs dizaines de secondes.

1 - L’orgue Hammond –100 est doté d’une console autonome ne nécessitant pas d'enceinte externe. Il comporte deux claviers de 44 touches chacun, un clavier à pédale de 13 notes et une pédale d'expression pour contrôler le volume.

2 – Grâce à la combinaison des voix préprogrammées de clavecin, de vibraharpe, de guitare et de « boîte à musique », le Lowrey a pu fournir la tonalité magique requise. L’orgue sera encore utilisé plus tard au studio Apple du groupe pendant les sessions de Let It Be.


LE CLAVIOLINE (1967)

L’utilisation du Cavioline préfigure l’emploie du synthétiseur modulaire Moog IIIp sur l’album Abbey Road. C’est à l’occasion de l’enregistrement de l’album Yellow Submarine, dans la chanson Baby You’re a Rich Man, que John Lennon utilisera le Clavioline (il est à remarquer que ce sera la seule fois où un instrument d’origine française sera utilisé par les Beatles).

Au lieu d'utiliser les studios d’Abbey Road, l’enregistrement s'est déroulé dans un studio utilisé régulièrement par les Rolling Stones, l’Olympic Sound, et c’est par un heureux hasard que Lennon allait découvrir le tout petit clavier qui y séjournait depuis peu.

Le Clavioline est un clavier monophonique, c’est-à-dire qu’une seule note résonne à la fois, excluant tout accord. Conçu en 1947 par Constant Martin, le Clavioline est l’un des prédécesseurs du synthétiseur moderne. L'instrument est composé de deux parties : le clavier, avec un générateur de sons intégré, et un boîtier équipé d’un amplificateur et haut-parleur. Les deux parties sont reliées par un cordon d'alimentation et le clavier peut être installé à l'arrière de l'amplificateur pour faciliter le transport. Un commutateur de transposition d'octave permet d’étendre la tessiture à cinq octaves.

En dehors des Beatles, on peut entendre le son du Clavioline dans le titre Telstar (1962) du groupe The Tornados où sa couleur « cosmique » est mise plus en évidence que chez les quatre de Liverpool. Au fil des années, différents modèles seront vendus en Grande-Bretagne par Selmer, ainsi que par Jennings sous la marque Univox.


THE BEATLES ET LE SYNTHESIZER MOOG (1969)

Le seul instrument réellement nouveau qui puisse honorer les studios Abbey Road est bien le synthétiseur Moog qu’acheta George Harrison en novembre 1968 alors qu'il produisait l'album de Jackie Lomax. D’abord utilisé au domicile du guitariste, le synthé lui servira à enregistrer un disque expérimental (Electronic Sounds). Le modèle était le Moog IIp, similaire au IIIp utilisé par les Beatles en studio lors des séances d'enregistrement de l'album Abbey Road en 1969.

Lorsque Harrison fait découvrir le synthétiseur Moog, l’instrument devient rapidement indispensable. On peut entendre le synthé Moog sur plusieurs titres de l’album Abbey Road : Maxwell's Silver Hammer, Because (son soliste), I Want You (utilisation du bruit blanc : effet de vent tourbillonnant), Here Comes the Sun.

Toujours soucieux de conjuguer perfectionnisme et avant-garde, les Beatles voulaient être parmi les premiers à faire un bon usage de ce genre d’instrument. Presque toutes les personnes qui travaillaient à Abbey Road du temps des Beatles se souviennent clairement du nouveau jouet. L'ingénieur Richard Lush : « George l'a installée dans la pièce 43, qui se trouvait à l'arrière du studio 3. Il a passé des heures à jouer avec lui, branché à une petite enceinte Fender. Je n'avais jamais rien entendu de tel auparavant. Le son ressemblait à cet étrange oscillateur à tonalité variable que l’on entend dans « Good Vibrations » des Beach Boys. » Ken Townsend, alors ingénieur de maintenance chez Abbey Road, rappelle que la première utilisation du Moog a été sur le morceau Because. (3)

Le Moog IIIp

À cette époque, même si déjà l’intention inavouée de quelques musiciens était de reproduire des sons existants, les synthétiseurs restaient avant tout des instruments destinés à des expérimentations sonores. Ils étaient – et le sont encore – des instruments capables de produire toute une gamme d’effets capable de dynamiser la créativité.

Robert Moog sera l'un des pionniers de l’aventure du synthétiseur analogique. Ses instruments sont devenus populaires du jour où le musicien Wendy Carlos enregistra en 1968 Switched on Bach ; un album qui comprenait les œuvres les plus connues du compositeur classique jouées entièrement sur des synthétiseurs Moog. À partir de ce moment-là, Moog est devenu pratiquement synonyme de synthétiseur.

Un mythe a d’ailleurs grandi autour de l'histoire de Harrison et de son Moog. Les Beatles auraient tellement aimé les sons produits par le synthétiseur, qu'il était question d’investir dans la société de Robert Moog pour ensuite l'intégrer à 'Apple Electronics'. Robert Moog, en qualité de chercheur indépendant, refusa bien sûr la proposition, argumentant que si elle avait été sérieuse, « nous aurions été là en une seconde ! ».

Le Moog IIIp de George Harrison était constitué d’un clavier séparé, d’un contrôleur de type ruban et d’une série de boîtiers. Le modèle de base pouvait être personnalisé en fonction de son utilisation. Chaque module comprenait des dizaines de commandes organisées en différentes sections, y compris celles utilisées pour la synthèse contrôlée par tension (filtres, oscillateurs…).

Avec ses dizaines de cordons de raccordement fournis, l'instrument avait toute l’apparence d’un central téléphonique ! Le « p » du IIIp signifiant non sans humour que l’instrument était portable, rien à cette époque ne stoppait cette envie d’explorer ces machines malgré les nombreuses difficultés rencontrées pour les utiliser correctement.


L’INGÉNIEUR DU SON ALAN PARSONS RACONTE…

Alan Parsons, avant de travailler pour Pink Floyd, avait réalisé quelques enregistrements pour Apple. Quelque temps plus tard, le voici débarquant dans les studios d’Abbey Road comme second ingénieur pour les sessions de l’avant-dernier album des Beatles...

Parsons se souvient en particulier du travail de l’utilisation du Moog par McCartney dans la chanson Maxwell's Silver Hammer : « Paul a fait "Maxwell" en utilisant le ruban comme s’il jouait du violon, devant trouver chaque note instinctivement, ce qui fait honneur à la capacité musicale de Paul. » (3)

Le contrôleur à ruban a ceci de particulier, que contrairement à un joystick ou une molette, il permet des changements de hauteur immédiats en fonction de la position du doigt sur le ruban. Les effets - à l'exemple du trémolo ou du glissando - sont faciles à réaliser.

Alan Parsons : « Les Beatles étaient toujours à la recherche de quelque chose de nouveau. Ils faisaient tout pour dissimuler le son de leur voix ou pour dissimuler l’instrumentation. Je pense qu'ils étaient conscients d'avoir beaucoup misé sur l'expérimentation. Ils se sont également beaucoup appuyés sur George Martin et les ingénieurs pour proposer des idées novatrices et de nouveaux sons qui les rendraient différents. John, en particulier, détestait le son de sa propre voix et était toujours à la recherche de nouveaux effets. » (3)

L'avant-dernier album studio produit par le groupe, Abbey Road, qui sort au Royaume-Uni le 26 septembre 1969 et aux États-Unis le 1er octobre, préfigure déjà la fin de l’aventure des Beatles qui se terminera avec l'album Let It Be l'année suivante.

3 – Source « Beatles Gear : The Ultimate Edition » - Extrait du livre d'Andy Babiuk.

Par ELIAN JOUGLA

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