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HISTOIRE DE LA MUSIQUE : LES PIANISTES DE JAZZ
Michel Petrucciani est un pianiste de jazz contemporain, influencé par Bill Evans et Keith Jarrett, mais au jeu plus incisif et puissant que ces derniers. Usant parfois d'effets un peu trop appuyés ou d'une virtuosité parfois gratuite, il est l'un des pianistes de jazz français les plus importants du jazz moderne.
© Jason Hickey (flick.fr) Pochette de l'album 'Michel play Petruccini'
MICHEL PETRUCCIANI : ESTATE
Michel Petrucciani : "Je joue toujours pour les gens. Je souhaite qu'après chaque concert, ils partent heureux et qu'ils souhaitent revenir. Ma musique n'est pas intellectuelle, mais sensuelle et chantante. Je veux qu'elle batte avec le cœur et qu'elle soit simple. Je joue pour plaire et pour communiquer. Mais ce n'est pas parce que ma musique plaît qu'elle est pour autant commerciale. J'essaie seulement d'appliquer de plus en plus la leçon des grands maîtres : moins, c'est toujours plus."
La première fois que j'ai vu jouer Michel Petrucciani il avait 15 ans et moi 20. J'étais à l'époque disquaire, mais je commençais à me produire modestement et à enseigner au théâtre municipal de Sète (un privilège dû à un ami de Brassens). C'est dans ce lieu même que je le vis un soir lors d'un concert qu'il donnait en compagnie de son père et de son frère Louis à la contrebasse. Je n'étais au courant de rien, ni sur sa maladie ni sur ses talents de pianiste. Mon employeur, connaissant mon intérêt pour la musique, m'avait conseillé d'aller le voir jouer.
Confortablement installé dans un des fauteuils du théâtre, mais sur le côté de la scène, je ne voyais pas le clavier… mais j'avais remarqué l'installation d'un système mécanique au niveau des pédales, quand tout d'un coup, je vois un homme d'un certain âge portant un adolescent, presque un enfant dans ses bras, c'était le père de Michel Petrucciani portant son fils et l'installant au piano. J'avoue, que sur le moment, j'ai été saisi par son apparence physique, comprenant tout d'un coup le pourquoi de ce mécanisme sous le piano.
Quand le concert démarra, je ne mis pas longtemps à saisir que le style de Michel était très différent du papa guitariste. Il était plus moderne, plus incisif. À cette époque de ma vie, j'étais très passionné par le jazz, je lisais des revues, j'allais voir des concerts, mais je n'avais jamais encore entendu parler d'un 'Michel Petrucciani'. Ce soir-là, je reçus ce concert comme une claque, moi dans mes gammes et lui dans les siennes, mais quelle différence !
Quand j'affirme que la musique vous rappelle constamment que vous ne pouvez pas tricher avec elle… cette phrase trouva toute sa justification, toute sa vérité lors de ce concert. Je venais de comprendre pourquoi on m'avait conseillé d'aller le voir jouer.
Je réalisais à l'issue de ce concert que ce jeune pianiste aurait un brillant avenir et qu'il ne continuerait pas à jouer avec son père, à condition que les rencontres futures le portent à aller plus loin.
La seconde fois, je voulais avoir confirmation de ce que j'avais entendu. Je m'étais rendu à Nîmes, l'année suivante, en 1978, pour le voir jouer avec le big band de Nîmes dirigé par le trompettiste Michel Barrault.
Au programme, des thèmes assez classiques de Count Basie et Thad Jones/Mel Lewis, mais aussi quelques incursions dans des musiques plus modernes. Michel Petrucciani, en invité d'honneur, jouait pour la circonstance sur un piano électrique Fender Rhodes. Peut-être à cause de cela, je ne vis pas ce soir-là un "Michel Petrucciani" au mieux de sa forme, cela frisait même la catastrophe, surtout quand les rythmes étaient binaires. C'était pour moi d'autant plus interrogatif, que sur un plan personnel, j'étais en train de travailler de façon alternative les rythmes binaires et ternaires et tout ce que cela impliquait, à savoir en premier lieu l'improvisation ternaire sur un rythme binaire. Et ce soir-là, j'avais la démonstration de ce qu'il ne fallait pas faire.
La troisième où je vis Michel Petrucciani et où j'eus l'occasion de discuter une dernière fois avec lui était lors d'un concert à Sète où se produisait mon ancien professeur de piano jazz Christian Lavigne. C'était une soirée un peu disparate, mêlant la chanson et le jazz.
Le sommet de la soirée, en quelque sorte, fut quand Michel Petrucciani s'installa au piano pour accompagner Maria Rouanet, aujourd'hui écrivain, mais à l'époque chanteuse en langue occitane. Se conformant au principe d'une chanson classique, il fit une introduction, mais tellement élaborée que la chanteuse ne sachant quand démarrer, attendit un accord bien marqué et un signe de la tête de Michel Petrucciani, tout ravi de soulever des rires dans l'auditoire.
Par ELIAN JOUGLA