TECHNIQUE ET MAO



POURQUOI DOUZE NOTES PAR OCTAVE ? (LE PRINCIPE DE L'ACCORD EN TEMPÉRAMENT ÉGAL)

Les instruments à clavier offrent l'avantage de pouvoir repérer le nom des notes aisément grâce à la disposition de leurs touches. Il est difficile de ne pas remarquer visuellement que douze touches (sept blanches et quatre noires) sont reconduites à plusieurs reprises sur l'étendue du clavier pour couvrir toutes les octaves présentes. Partant de là, une question se pose : « Pourquoi seulement douze notes ? Pourquoi pas dix, seize ou davantage ? »


LES HAUTEURS ALÉATOIRES

Le piano demeure un instrument conçu dès le départ pour être dans la continuité de ses aïeux, tels le clavecin et l'orgue. Tout comme la flûte traversière ou la guitare, le piano doit servir la musique occidentale et ses modes. Son accord repose ainsi sur un étalonnage précis lié à des rapports de fréquences. Pour autant, l'accord, tel que nous l'entendons, a-t-il été choisi pour sa couleur agréable à l’oreille ? Pas précisément, du moins sa « formule » est parvenue à s'installer durablement en acclimatant nos oreilles aux « valeurs » de la culture occidentale. C'est comme une vérité avec laquelle il est difficile d'échapper depuis le plus jeune âge... Une question d'éducation et de conditionnement par l'écoute, pourrait-on dire !

© rawpixel.com – La mise en lumière des sons de la nature nous révèle que ceux-ci ne sonnent jamais faux à nos oreilles !

Le contre-exemple de ce fait avéré, et le plus instructif également, provient des sons de la nature (mer, rivière, vent, etc.) qui ne présentent aucun lien sonore entre eux, si ce n'est d'arriver à nos oreilles avec des hauteurs aléatoires et imprévisibles. Pourtant, ni vous ni moi ne jugeons leur « musique » désagréable et surtout fausse ! Cela signifie que nous sommes en mesure d'accepter des sons naturels avec des timbres et des hauteurs très fluctuantes, mais que nous refusons ce principe de liberté sonore quand il s'agit des instruments de musique.

La raison essentielle provient de notre « vision scientifique » des sons, de leurs combinaisons, mais aussi de notre désir à vouloir tout contrôler sans « fausses notes », à dresser un ordre et à s'y tenir. Seules certaines percussions font bande à part, bien que concernant la batterie, la peau de chaque fut est habituellement tendue pour sonner d'une façon agréable pour le musicien (certains percussionnistes vont jusqu'à utiliser des accordeurs électroniques). Les instruments à cordes sans frettes, comme le violon, serait en mesure de faire cavalier seul, puisque malgré la présence de ses quatre cordes (accordées en sol, ré, la, mi), il est possible de produire des variations de hauteur inférieures au demi-ton, à l'exemple du quart-de-ton, un intervalle que l'on peut entendre notamment dans les musiques arabes et orientales.


EN PARTANT DU « LA » DU DIAPASON

Concernant le piano, celui-ci est assujetti à une échelle musicale construite sur une succession de demi-tons. Ni plus ni moins. C'est donc un choix imposé, une obligation pour qu'il puisse répondre à la culture occidentale qui l'a vu naître.

Le point de départ repose sur la recherche d'oscillations régulières – tout le contraire de celles improbables et intermittentes suggérées par la pluie ou les caprices du vent, par exemple. Une fois de plus, nos oreilles vont être sollicitées et devenir nos juges.

Pour parvenir à définir un accord en tempérament égal, il est nécessaire d'avoir un repère étalon. La 49ᵉ touche du piano est concernée. Elle correspond à la touche La 3. Quand on appuie sur celle-ci, le son produit doit déclencher une onde vibratoire battant 440 fois par seconde autour de sa position d’équilibre. C’est le « La » du diapason, accordé à 440 hertz (1).

© Tagrich1961 - wikimedia - Représentation du clavier avec désignation des octaves et de la tessiture (cliquez sur l'image pour agrandir).

Ce qui suit pourrait être défini comme une succession de valeurs mathématiques avec des fréquences chiffrées qui correspondent à des hauteurs précises. Celle des octaves est la plus simple à définir, puisqu'il suffit de diviser ou de multiplier par deux. Si le La 3 est à 440 Hz, le La inférieur sera à 220 Hz et le La supérieur à 880 Hz. Dès lors, en appuyant simultanément sur deux touches distantes d'une octave, le son émis doit être harmonieux. Une sensation de « consonance » s’en dégage avec aucune résonance ondulatoire.


LES HAUTEURS INTERMÉDIAIRES

Une fois les octaves établies, le découpage essentiel de l'accord à tempérament égal repose sur le calcul de la quinte. Théoriquement, l'intervalle s'obtient en multipliant par une fois et demie la fréquence de la tonique. Si l'on utilise le La 2 (220 Hz), la quinte plus aiguë (la note Mi) sera à 330 Hz. Or, ce qui s'applique en théorie ne se reproduit pas précisément sur le piano, surtout si l'on tient à entendre la tonique et la quinte sonner de façon acceptable. Pour cela, le Mi doit émettre une fréquence de 329,63 Hz.

Mais, pourquoi une telle valeur ?

Le doublement de la fréquence de l'octave associé au découpage en 12 intervalles égaux en est la cause. Entre une touche et la suivante, la fréquence doit être multipliée par environ 1,059, de sorte qu’en renouvelant l'opération 12 fois, on monte exactement d’une octave, passant du La 2 (220 Hz) au La 3 (440 Hz) avec, en son centre, la quinte établie à 329,63 Hz.

La quinte est source de problème, car le Mi à 330 Hz serait préférable pour apporter de la justesse à l'instrument. De fait, un autre découpage peut-il être envisagé ?


© delmas-musique.com - Accorder un piano, une question d'oreille et de doigté !

LÀ OÙ TOUT SE COMPLIQUE...

Le problème est le suivant : « En combien de partie faut-il découper l’octave pour être au plus près de la quinte juste tout en utilisant des intervalles égaux ? ».

Une formule mathématique baptisée « approximation diophantienne » (2) établie une fraction ayant pour valeur : log(3/2)/log(2) = 0,584962...

Ce chiffre est irrationnel, comme peut l'être Pi (π = 3,14159...). Néanmoins, "0,584962…" est proche de la fraction 3/5 = 0,6. Autre constat, avec des dénominateurs toujours plus grands, tels que 7/12 = 0,58333 ou 31/53 = 0,584905… nous nous approchons de la valeur requise.

Cependant, si l'on garde à l'esprit que la quinte du piano n'est pas aussi juste que l'intervalle qui la baptise, il faut se lancer et choisir une fraction qui puisse convenir à la division de l'octave en 12 demi-tons égaux. Procédons par élimination...

Il faut exclure en premier la fraction 3/5 qui est insuffisante à régler le problème de justesse, mais aussi la fraction 31/53, pourtant la plus proche de l'intervalle recherché. Pourquoi ? Si cette dernière était adoptée, elle obligerait à diviser l'octave en 53 notes... De quoi revoir la conception et l'étude du piano, n'est-ce pas ? Reste la fraction 7/12 = 0,58333 qui est habituellement utilisée pour accorder la quinte. Dit autrement, si on optait pour une approximation autre que 7/12, la quinte serait plus « fausse » et entraînerait plus ou moins l'utilisation de 12 touches par octave.


EN CONCLUSION

Cette approche didactique tente de décrire avec des mots – et non des sons – la complexité du tempérament égal. Les octaves et les quintes sont les points d'ancrage. Sans ces deux repères, c'est l'existence même de la musique telle que nous l'entendons qui serait rebattue, tout comme l'usage de l'harmonie. Ce découpage en 12 intervalles se veut mathématiquement optimal. Baptisé tempérament égal, avec une quinte presque juste et un choix entre douze notes par octave, ce type d'accord permet de s'exprimer physiquement sur le piano dans des proportions communément acceptées par la majorité des pianistes... jusqu'à présent !

par ELIAN JOUGLA (Piano Web - 11/2023)


1. Certains pianos sont accordés en partant d'un peu plus haut que le La 440 Hz (441, 442 Hz) ou d'un peu plus bas (339, 338 Hz), souvent pour des raisons mécaniques (tenue de l'accord) ou pour affaire de goût personnel.

2. L'approximation diophantienne traite de l'approximation des nombres réels par des nombres rationnels. Il est possible d'approcher tout nombre réel par un rationnel avec une précision arbitrairement grande. La valeur absolue de la différence entre le nombre réel à approcher et le nombre rationnel qui l'approche fournit une mesure brute de la précision de l'approximation. Une mesure plus subtile tient compte de la taille du dénominateur. (source Wikipédia).

À CONSULTER

ACCORDER UN PIANO

POURQUOI FAUT-IL ACCORDER LE PIANO RÉGULIÈREMENT ?

LE TEMPÉRAMENT À QUINTES JUSTES DE SERGE CORDIER

LE SUPER TEMPɨRAMENT DE RAYMOND FONSÈQUE

LA RELATION INTERPRÈTE/FACTEUR


TECHNIQUE "DOSSIERS DIVERS"
SOMMAIRE "DOSSIERS"
ACCUEIL
PARTICIPER/PUBLIER : EN SAVOIR PLUS
Facebook  Twitter  YouTube
haut
haut

Accueil
Copyright © 2003-2024 - Piano Web All rights reserved

Ce site est protégé par la "Société des Gens de Lettres"

Nos références sur le Web - © Copyright & Mentions légales