ANALYSE MUSICALE



SCOTT JOPLIN THE ENTERTAINER, DÉCRYPTAGE D'UN RAG HISTORIQUE

Le ragtime est une musique très prisée par les pianistes. Ancrée dans l’histoire depuis la toute fin du 19e siècle, cette musique est extrêmement reconnaissable en répondant à des codes précis d’écriture. Si j’ai choisi d’évoquer The Entertainer de Scott Joplin, c’est qu’il représente au mieux ce qu’est le ragtime, autant par sa qualité d’écriture que par l‘immense popularité dont il jouit depuis que le film de George Roy Hill, L'Arnaque (1973) l'a mis à l'honneur.


LE RAGTIME DANS SON CONTEXTE

Nous sommes à la fin du 19e siècle et quelques Noirs commencent à avoir accès à la culture pianistique classique européenne. À son contact, ils s’enrichissent d’un langage musical qui leur est totalement étranger et qui provoque inévitablement en eux un choc frontal à l’encontre de leur propre culture. Les chants ethniques, les rythmes bruts et un blues rural naissant font faces à une musique sophistiquée à la charnière du Romantisme (Liszt, Chopin…) et de l’Impressionnisme (Debussy).

Toute leur ingéniosité, et non des moindres, consistera à créer une synthèse entre des rythmes d’origine africaine et une exploitation des ressources mélodiques et harmoniques propres à la musique classique. De cette alchimie naîtront les premières ébauches du style ragtime. Grâce à sa diffusion en partitions et par le biais de rouleaux perforés présents dans les pianos mécaniques, le ragtime sera une musique populaire jusqu'à la fin des années 20. (En savoir + : Histoire du ragtime).


SCOTT JOPLIN THE ENTERTAINER (enregistrement rouleau)

UNE PREMIÈRE RENCONTRE AVEC LE RAGTIME

Qu’est-ce qui caractérise au mieux le ragtime au piano ? Certainement la dissociation du jeu entre les deux mains. Le ragtime est une musique très stylée. C’est pour cela que ses intonations si caractéristiques ne peuvent être confondues avec un autre style musical.

Étymologiquement, le terme ragtime vient de la contraction des mots « ragged » et « « time », signifiant « temps déchiqueté ». Les morceaux sont souvent riches de notes. Même s’il existe des rags orchestrés, pas de doute, le style est, à l'évidence, conçu pour le piano.

Proche du piano stride, il possède une main droite chargée et volubile où la syncope impose sa loi, tandis que la main opposée s’articule autour d’un rythme de pompe (classiquement une alternance d’une note de basse suivie d’un accord sur le temps suivant). Le contraste des deux mains est saisissant et participe au style. L'opposition de jeu est totale. C’est la carte d’identité du rythme de rag. Toutefois, pour rompre une certaine monotonie, certains passages peuvent en être exempts, par exemple : introduction jouée à l'unisson ou lors d'un changement de tonalité en rompant brutalement le rythme de pompe.

En savoir + : Apprendre le ragtime au piano - test.


THE ENTERTAINER À LA LOUPE

Pour comprendre la suite des explications, veuillez à présent cliquer sur ce lien : Partition The Entertainer

Comme d’autres rags, The Entertainer est composé de plusieurs parties dénommées strains, pouvant se répéter ou non. Le tempo est modéré et la nuance principale plutôt douce.

The Entertainer s’exécute sur une mesure à 2 temps et a pour tonalité principale le Do majeur (aucune altérations à l’armure). Sa structure est composée de cinq parties et se déroule ainsi :

  • A : premier « strain » en Do majeur joué deux fois.
  • B : second « strain »toujours en Do majeur.
  • A : premier « strain » en Do majeur joué seulement une fois.
  • C : troisième « strain » en Fa majeur joué 2 fois.
  • D : passage de transition composée de 4 mesures pour revenir en Do majeur.
  • E : « strain » de conclusion joué 2 fois.

Après une introduction jouée à l’unisson par les deux mains et marquée à sa fin par un accord de sol majeur, le premier « strain » démarre. Aussitôt le rythme caractéristique du ragtime se met en place : une main gauche carrée et appuyée et une main droite avec syncopes croches/double-croches. À ceci s’ajoutent, toujours sur la main droite, des traits mélodiques marqués composés de « grappes sonores » à trois sons : une note doublée à l'octave supérieure plus une troisième constituant une esquisse d'accord (tierce ou sixte).

Ensuite, dans sa globalité, l’œuvre évolue de « strain » en « strain » avec cette même similitude d’écriture. Dans The Entertainer, il n’existe pas de changement majeur conduisant à rompre ce langage. Généralement, quand on interprète un rag, une fois lancé, il n’y a que peu de place pour des respirations sonores. Ce type de lecture est cadenassée par une écriture si dense qu'elle ne laisse aucune échappatoire à son interprète.

L’interprétation du ragtime s’exécute sans swing, ce qui va à l’encontre du jazz. Le style, dans son histoire, n’a jamais eu le privilège de représenter ce qui caractérise les bases du jazz : des notes qui swinguent et une place importante réservée à l’improvisation. The Entertainer est également prisonnier de ses rythmes syncopés et obstinés qui parcourent son écriture et qui sont en total décalage avec les couleurs de la musique classique d'alors. Cependant, le ragtime, par son « modernisme » et son côté novateur qui ne renie pas les écritures, inspirera quelques grands compositeurs comme Erik Satie, Maurice Ravel, Darius Milhaud ou Igor Stravinsky.


À PROPOS DE SCOTT JOPLIN

Issue d’une famille modeste, Scott Joplin grandit au son du violon joué par son père et du banjo par sa mère. L’enfant est rapidement attiré par le piano qu’il commence à pratiquer en autodidacte. Il semble doué et le père décide de lui trouver un professeur. C'est un pianiste allemand, Julius Weiss, qui l’initie sérieusement à l’instrument et structure ses étonnantes capacités musicales, notamment dans le domaine de la mélodie et de l’harmonie.

Joplin prend possession petit à petit de la culture européenne. Il se familiarise à sa richesse et diversité en travaillant d’abord sur le piano des voisins, puis sur un piano de fortune acheté par son père. Le talent de Scott Joplin ne se fait pas attendre. Il a une vingtaine d’années quand il gagne sa vie comme pianiste de saloon à Sedalia. Ses premiers ragtimes comme Maple Leaf Rag (1899), du nom d'un club dont il est le pianiste, sont édités et rencontre tout de suite un vif succès.

Joplin devient la grande figure du ragtime. Le pianiste enchaîne les succès : Elite Syncopations, March Majestic, Ragtime Dance, The Strenuous Life, et bien sûr The Entertainer qu'il compose en 1902. Mais si Joplin devient un artiste reconnu, il ne sera jamais riche, ce qui l’obligera à occuper de petits emplois pour mettre un peu d’argent de côté.

En dehors de ses rags et de quelques rencontres plus ou moins fortuites (le pianiste Louis Chauvin avec lequel il coécrit en 1907 Héliotrope Bouquet ou le pianiste Joseph Lamb, une autre figure marquante du ragtime), Scott Joplin écrira un opéra, Treemonisha (1911) où il dénonce les problèmes d’égalité raciale.

Il décède en 1917 des suites de la syphilis, et ce n’est qu’en 1970 que le célèbre pianiste de rag est enfin intronisé au "Songwriters Hall of Fame" par la National Academy of Popular Music.

Par ELIAN JOUGLA


À CONSULTER

DU PIANO RAGTIME AU PIANO STRIDE


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