HISTOIRE DE LA MUSIQUE ET DES INSTRUMENTS



SYNTHÉTISEUR NUMÉRIQUE, ÉCHANTILLONNAGE ET MODÉLISATION

Cette page fait suite à : DU SYNTHÉ ANALOGIQUE AU SYNTHÉ NUMÉRIQUE


AU TOURNANT DE L’ÉCHANTILLONNAGE

Pour le musicien qui voulait entrer dans la course à l’échantillonnage, se procurer un Fairlight ou un Synclavier était hors de prix, mais du jour où apparu l’Ensoniq Mirage (1985), tout changea. La marque américaine décida d’investir un million de dollars pour développer le Q ship, l’équivalent d’un circuit à 20 000 transistors. Cet effort ne fut pas vain, car il permit à la marque de proposer un échantillonneur à bas coût. Le Mirage était né. Loin d’être parfait, puisqu'il lui était impossible de faire du multiéchantillonnage, il produisait toutefois un grain sonore tout à fait personnel et plaisant. Vingt mille exemplaires se vendront.

Le Mirage d'Ensoniq

L’échantillonnage prend de la hauteur avec l’arrivée sur le marché de la marque Akai. En effet, celle-ci propose en 1985 le S612, le premier sampleur à se présenter sous la forme d’un rack. Simple d’utilisation, le S612 était piloté en MIDI par un clavier maître ou un synthé. L’échantillonnage était encore en 12 bits à 32 kHz, mais son prix abordable a permis à Akai de se positionner en leader. Le S900 (1987) et surtout le S1000 (1988) conforteront la position stratégique de la marque. Le S 1000 était capable de proposer dans sa version de base plus de 11 secondes de son stéréo à 44,1 kHz !

Si Akai a été à la base de la démocratisation de l'échantillonnage et si elle a apporté au mot « sample » toutes ses lettres de noblesse, les modèles proposés par les marques E-mu (Emulator –1984, Emulator III - 1988) et Kurzweil (K250 – 1984, K1000 - 1987) deviendront de redoutables concurrents. Les pianos échantillonnés du Kurzweil K250 feront références en échantillonnant à 50 kHz en 16 bits. De plus, les sons pouvaient être stockés sur MacIntosh. Quant à E-mu et son Emulator III avec ses quatre mégas de RAM extensible à huit et son « gros » disque dur 40 Mo, il avait de quoi séduire. E-mu ira jusqu’à faciliter la vie des musiciens en proposant un lecteur de sonorités préprogrammés, le Proteus Pop (1989). Oberheim se lance aussi dans la course en jouant la surenchère. Il ne peut en être autrement. Son Matrix 1000, comme son nom l’indique si bien, proposera 1000 sons, dont 800 en presets. Un véritable musée sonore incontournable.

La marque Roland combattra aussi le leadership d’Akai avec son S-550 (1987) directement issu du S-50 ; mais malgré des fonctions de synthèse poussées, l’expandeur n’aura qu’un succès d’estime. Heureusement pour la marque, les lecteurs d’échantillons U-110 (1989) puis U-220 (1990) avec leurs sorties séparées et leurs sonorités passe-partout viendront à point nommé pour ceux que l’échantillonnage rebute.


DES INNOVATIONS ENCORE ET TOUJOURS…

Le Roland MT-32

En 1986, la marque américaine Ensoniq proposait le ESQ-1, un synthétiseur doté de performances inégalées jusqu’alors : filtre à quatre pôles, enveloppes à six étages, ondes numériques, multitimbralité, trois oscillateurs par voies, sons multiéchantillonnés, sans oublier un séquenceur pouvant stocker 10 000 notes et une implantation MIDI très complète.

Côté expandeur, l’année 1987 sera celle du Roland MT-32. Considéré comme l’expandeur du D-50, la toute petite boîte noire posait la base de ce qui allait devenir la norme internationale classifiant tous les sons de synthèse, le General MIDI. Ce précurseur du Sound Canvas est à l’origine de toutes les collections de séquences Midi Files encore utilisées de nos jours.

D’autres marques rivalisent d’idées pour se frayer un chemin. L’inattendu Casio et son FZ-1 (1987) sera le premier à échantillonner en 16 bits et à vulgariser le principe du sample et de ses avantages. Le modèle VZ-1 (1988) utilisera en son cœur une forme dérivée de la FM chère à Yamaha, la distorsion de phase, qui avait l’avantage de produire un grain de son plus chaud que la FM. Du côté de la marque Kawai, le modèle K-5 donnera à la synthèse additive une chance d’exister encore. Les harmoniques, il est vrai, sont sacrés, et rien n’est encore venu les remplacer !

Commercialement parlant, l’année 1988 est marqué par l’arrivée du Korg M1. Le clavier est venu faire un peu de ménage au sein de toutes ces dérives technologiques. Le M1 incarne le clavier workstation type et bon marché. Les sons produits seront de qualité et répondront parfaitement à l’attente de nombreux musiciens. En France, le M1 fut largement mis en valeur par le démonstrateur Michel Deuchst qui savait comme nul autre vous prouver lors de démos en magasin toute la puissance des « layers », c’est-à-dire des sons empilés en couches successives. Toujours en 1988, une nouvelle synthèse voit le jour : le Cross-Wave. L’Ensoniq SQ-80, synthétiseur workstation performant et séduisant, en sera équipé.

En 1990, le Roland D-70 fait un retour à l’analogique avec son concept de la Tone Palette, un ensemble de potentiomètres qui permettra de colorer l’échantillon. Les musiciens veulent retrouver les gestes d’autrefois, celle de l’analogique avec ses boutons que le DX7 avait fait disparaître subitement.

La même année, le Korg WS utilise les principes de la synthèse vectorielle, née du Prophet VS (1986), pour produire des sons d’une qualité rare. Et que dire du Peavey DMP3 (1990) - dont la marque est plus connue pour ses amplis que pour la synthèse – qui avait la particularité de proposer un système d’exploitation interchangeable. Une idée originale, bien que pas nouvelle.


ERREURS DE PARCOURS ET RECONVERSION

Toute cette myriade de produit plus ou moins dérivés produisit aussi des flops…

Le U110 (1989) et le Studio MV30 (1989) de Roland étaient alléchants sur le papier, mais à l’essai un souffle important était là, dominateur, causé par un problème de conversion numérique/analogique. Roland ne sera pas le seul à faire des bourdes. Les erreurs de marketing existent aussi. L’Ensoniq VFX (1990) aurait dû être le synthé de la décennie 90 : numérique 16 bits à effets intégrés, séquenceur 24 pistes, filtres et tout ce qu’il faut pour produire des sons puissants et originaux. Seulement voilà, là où d’autres font la même chose, en moins bien, mais en plus commercial, le VFX, tout en étant en avance de plusieurs années, était beaucoup trop cher (20 000 F). Erreur fatale !

En 1990, Ikutaro Kakehashi, alors président fondateur de la firme Roland aura un rêve… En 1988, il achète la marque de Harold Rhodes, concepteur du fameux piano électrique et conçoit le Rhodes MK80 à base d’échantillons. Ce petit caprice coûtera à la fin beaucoup d’argent à la firme nipponne, car l’instrument ne se vendra pas autant que prévu. L’électroacoustique est un domaine inimitable. De plus, tous les synthés ou presque revendiquaient déjà fièrement un son de Rhodes… alors !

Pour Yamaha, l’après DX7 sera aussi très difficile. Aux États-Unis et au Japon, les équipes de recherche ont valsé… L’arrivée de la série SY, sans être révolutionnaire, allait redonner confiance. Tandis que le modèle de base, le SY22 (1989), utilise un astucieux mélange d’ondes numérisées et de FM à quatre opérateurs, le SY77 (1990) sera équipé de filtres numériques en temps réels qu’il mélangera à de la technologie AFM et AWM.

Le Roland JD-800

Comment ne pas être séduit par le tableau de bord du Roland JD-800 ? Le synthétiseur est esthétiquement une réussite, un symbole. Si l’engouement pour le retour des boutons et de l’analogique explique bien des choses, les ventes ne sont pas au rendez-vous pour amortir une fabrication fort dispendieuse. Ce jour-là, Roland s’est rendu compte d’une chose : entre la demande consécutive aux rumeurs et une étude de marché bien pointue, il vaut mieux choisir la seconde !

Avec le Roland E-70, il en ira autrement. La technologie des arrangeurs pointe le bout de son nez. Le E-70 ouvre la danse en juin 1991. Ses possibilités sont étonnantes, mais ce n’est que le début. Roland, toujours pour innover, investit sur des instruments pouvant recevoir des sons par l’intermédiaire de cartes interchangeables. La série des JV (1992/1994) feront date. Motorisé par un chip RISC 32 bits, le JV1080 deviendra le modèle de référence grâce à ses 64 voies de polyphonies et surtout grâce aux quatre blocs de huit-mégas de sons supplémentaires embarqués.


LES ANNÉES 90, TOUJOURS PLUS LOIN

En 1992, le groupe Young Chang qui vient d’absorbé Kurzweil, va remettre la marque à flot avec un instrument novateur fort bien accueilli, le K2000. Tout le monde est unanime, Jean-Michel Jarre allant même jusqu’à l’encenser. Le Kurzweil préfigure une nouvelle ère dans le monde de la synthèse.

Akai, toujours dans la course, continue de produire de nouveaux échantillonneurs : S2800, S3000 et S3200 (1992). Le fleuron de la gamme (S3200) n’est pas seulement un échantillonneur, mais aussi un synthétiseur très complet avec filtres. La marque japonaise qui conserve quelques longueurs d’avance, lorgne à présent du côté de l’enregistrement audionumérique, suite logique de l’échantillonnage à grande capacité.

Les années 90 sont aussi les années de la miniaturisation extrême. Yamaha lance le QY10 en 1991 et le QY20 l’année suivante. La petite boîte, pas plus grosse qu’une cassette vidéo, contient tout un arsenal de technologie et de possibilités. Tout à la fois, séquenceur et arrangeur, le QY20 conforte la marque dans sa détermination à produire une série de matériels portables. La demande est là. Les produits « nomades » ont la cote chez les musiciens.

En 1993, Korg qui n’a jamais construit d’arrangeur crée la surprise avec le i3. Cette soudaine initiative habilement réussie va relancer l’intérêt de toutes les marques pour ce genre de claviers « intelligents » et forts utiles au musicien solitaire.

Avec le Yamaha TG500, c’est la polyphonie qui s’envole. D'abord à huit notes sur les premiers synthés MIDI, celle-ci passe à seize, vingt-quatre et trente-deux. Avec le TG500, version rack du SY85, ce sont 64 voies de polyphonies qui sont atteints. Un standard qui doublera dans les années 2000.

En 1994, le Waldorf Wave de PPG deviendra dans l’histoire de la synthèse la porte d’entrée vers la cyberculture et le multimédia, phénomènes marquant des années 90 pour tous ceux qui, de plus en plus nombreux, utilisent des CD à échantillonner. La même année, une nouvelle technologie de pointe, bien connue du monde de la vidéo, est transplantée et aménagée dans le domaine de la synthèse : le morphing. Chez E-mu, cette technique fait son apparition dans la synthèse sous le nom de Z-Plane. Basé sur des contrôles dynamiques, le Z-Plane effectue une transition contrôlée entre deux profils sonores basés sur une succession de filtrages complexes.

Le Waldorf Wave de PPG


EN ROUTE VERS LA MODÉLISATION PHYSIQUE

Alors que Peter Gabriel présente « Xplora », le premier CD-ROM qui va faire référence, Yamaha introduit le VL1, premier synthétiseur à utiliser la synthèse par modélisation physique. Ce nouveau concept va révolutionner l’approche de la synthèse en apportant un surplus de réalisme dans les sonorités reproduites. Alesis, présent sur le marché depuis quelques années, propose en 1994 le QuadraSynth, un synthé qui offre l’avantage d’être connecté directement à un enregistreur Direct-to-Disk. Le monde numérique absorbe la synthèse. Cela ne fait plus aucun doute.

Les années 90 marque l’arrivée de la musique techno. Le Clavia Nord Lead (1995) avec sa robe toute rouge semblait avoir été conçu pour ce style de musique. Le retour du « feeling » analogique via la modélisation des oscillateurs est en route. Une combinaison réussie pour ce petit clavier monophonique qui allie l’expérience à la tradition. La marque allemande Doepfer fait de même. Son modèle MS-404 en rack remet à l’ordre du jour le synthétiseur monophonique MIDI équipé d’un filtre façon « Moog ». Gros son assuré !

Je conclurai ce long article avec le Korg Trinity (1994). Une workstation puissante incorporant des possibilités de Direct-to-Disk et utilisant la synthèse ACCESS (Advanced Control Combined Synthesis System) et MOSS (Multi Oscillator Synthesis System). Sonorités d’une grande pureté et création quasi illimitée à la clé : que demander de plus !

Par ELIAN JOUGLA
(source : Les 100 claviers de la légende - Mangenot)

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