LEÇON GRATUITE



LA POLYTONALITÉ EN QUESTION

L’usage de la polytonalité pourrait bien être une affirmation vigoureuse de la vitalité du mode majeur, dès l’instant qu’on lui intègre une quantité d’éléments dont l’indépendance sonore est brutalement jugulée et asservie à une volonté de puissance.


LE PRINCIPE DE LA POLYTONALITÉ

Pour mémoire, comme abordé dans la leçon concernant l’écriture des accords composés, on constate déjà que l’agrégation des notes n’appartient pas nécessairement à la tonalité de l’accord (neuvième augmentée, treizième mineure, etc.).

Un extrait de la partition de 'Sorocaba' des 'Saudades do Brasil' de Darius Milhaud

Dans l’accord de treizième ci-dessous, qui est une extension de l’accord de septième de dominante avec un sol à sa basse (donc appartenant en principe au ton de Do majeur), nous pouvons isoler les trois sons marqués d’une croix qui ne sont nulle autre chose que le premier renversement de l’accord de ré bémol majeur. Il suffit d’appeler le do # ré b, puisque ces deux notes se confondent dans le système tempéré.

Ainsi, des accords appartenant à différentes tonalités peuvent, s’ils ont été convenablement choisis, s’associer de façon heureuse. De là à imaginer qu’il peut exister entre des tonalités différentes certaines affinités, il n’y a qu’un pas ! Ainsi, en choisissant deux tonalités qui répondent à cette exigence, il deviendrait possible de traiter tonalement chacune d’entre elles au sein d’une polyphonie dans laquelle elles seraient entendues simultanément. Tel est le principe du fonctionnement de la polytonalité.


LA POLYTONALITÉ PAR L’EXEMPLE

Pour bien comprendre la polytonalité, rien ne mieux qu’un exemple. Que peut donc produire la rencontre très élémentaire de deux tonalités différentes ? Procédons et examinons…

Nous sommes ici en présence d’un mouvement de basse en dixième et dans la tonalité de Sol majeur. Cette ligne de basse permet d’entendre successivement les trois sons de l’accord parfait de sol majeur (sol, si, ré) dans la première mesure, et dans la seconde mesure, l’accord de septième de dominante ré 7 sans la tierce (ré (fa #) la do) dans son deuxième renversement (basse la). Ces deux mesures confirment parfaitement la tonalité de Sol majeur.

La deuxième étape consiste à choisir une mélodie harmonisée sommairement en choisissant un simple accord de tonique en 10e (ré, la, fa #) et un de dominante renversé (mi, la, do #). L’exemple ci-dessous est donc en Ré majeur.

Passons à présent à la troisième étape.

Après avoir joué l’exemple ci-dessus, vous allez exécuter avec une oreille neuve l’exemple suivant qui réunit à la fois la ligne de basse en 10e et la mélodie :

Que constatez-vous ?

Vous venez d'accompagner en Sol majeur une mélodie écrite en Ré majeur et, ce faisant, vous avez reconstitué le début de la première Saudade do Brésil de Darius Milhaud. Sol majeur et Ré majeur sont certes deux tonalités voisines, mais cela n’explique pas tout, car nous sommes bel et bien en présence d'une polytonalité.

Qui voudra familiariser son oreille avec les combinaisons harmoniques propres à ce procédé en trouvera tout un échantillonnage, à la fois simple et musical, dans la suite des Saudades de Darius Milhaud.


DARIUS MILHAUD : 'SAUDADES DO BRASIL' (1920)
Dès les premières mesures de la première Saudade, la présence de la polytonalité s'expose et s'entend parfaitement, créant une sorte de dissonance en porte-à-faux (piano : Antonio Barbosa).

COMPOSITIONS ET POLYTONALITÉ

La Polytonalité est apparue à la fin du 19e siècle, à une époque où les recherches sonores étaient l’une des préoccupations premières d’un grand nombre de jeunes compositeurs. C'était une façon habile de repousser les limites du système tonal classique qui n'arrivait plus vraiment à se renouveler. La polytonalité fera partie des recherches contrapuntiques et harmoniques qui verront le jour au début du 20e siècle. Darius Milhaud est l’un des musiciens qui a illustré clairement ses possibilités comme ses limites.

Sergueï Prokofiev fera de même. Chez le compositeur russe, la polytonalité répondait à une certaine audace. Avec sa Deuxième symphonie, il s’était livré à une étude méthodique de cette technique. Cette œuvre répond à l’usage de la polytonalité par une application que nous pourrions considérer comme exhaustive et musicalement escarpée !

Toute personne curieuse de prendre connaissance de cette œuvre difficile aura tout intérêt à l’aborder par son second mouvement, plus aisé à suivre quand on plonge dans les diverses variations polytonales. Partant d’un thème initial clairement défini, le second mouvement est un enchaînement de multiples variations, la légère chassant l’austérité de la précédente quand ce n'est pas le contraire. À la fin, le retour du thème dans sa forme première peut, dans une certaine mesure, éclairer rétrospectivement les passages les plus ardus.


SERGE PROKOFIEV : 'DEUXIÈME SYMPHONIE' (second mouvement)
L’usage de la polytonalité crée dans ce mouvement diverses atmosphères étranges qui conduit l’auditeur dans une errance sonore indéfinissable, tantôt douce, tantôt agressive (Orchestre symphonique national d'Ukraine, dir. Theodore Kuchar).


Au début du 20e siècle, la polytonalité était promise à un bel avenir, mais cette « avancé » dans l’utilisation de l’harmonie ne durera qu’un temps. En portant notre attention ailleurs, notamment sur le chromatisme, des compositeurs comme Béla Bartók replaceront son usage au premier plan. Le chromatisme n’avait pas encore tout dit et les douze sons de l’échelle musicale devaient prendre part de façon organique au grand jeu musical après la Seconde Guerre Mondiale.

Par PATRICK MARTIAL

À CONSULTER

LA CONSTRUCTION DES TONALITÉS MAJEURES ET MINEURES

LE CYCLE DES QUINTES ET LE RAPPORT À LA TONALITÉ


- SOMMAIRE DES LEÇONS GRATUITES -

1 - ARRANGEMENT
2 - ÉVEIL MUSICAL
3 - HARMONIE
4 - IMPROVISATION
5 - PIANO ET TECHNIQUE
6 - RYTHME
7 - SOLFÈGE/THÉORIE
8 - PROGRAMMATION & LOG.
ACCUEIL
PARTICIPER/PUBLIER : EN SAVOIR PLUS
Facebook  Twitter  YouTube
haut
haut

Accueil
Copyright © 2003-2024 - Piano Web All rights reserved

Ce site est protégé par la "Société des Gens de Lettres"

Nos références sur le Web - © Copyright & Mentions légales