HISTOIRE DE LA MUSIQUE ET DES INSTRUMENTS



MUSIQUE ET MATHÉMATIQUES À TRAVERS L'HISTOIRE

Pour celui ou celle qui a étudié la musique en utilisant ses règles, il n'est pas rare de constater son étonnant dialogue avec les mathématiques. Alors que les deux disciplines semblent à première vue étrangères, pourquoi se sont-elles rapprochées ? Cet article, basé sur des réflexions conduites par le scientifique Laurent Mazliak, retrace sommairement l'évolution de cette dualité âgée de plusieurs millénaires.


LES INTERVALLES ET LES MODES DU TEMPS DES GRECS...

La présumée source : la Grèce antique au niveau européen. Exit les Chinois qui, pourtant, possédaient les connaissances plus d’un millénaire avant les Grecs.

Du temps des Grecs, la musique appartient à l’observation du monde et, de fait, ont des rapports avec les intentions divines. Arts et sciences se confondent étant donné que leur objectif est commun. Si le théâtre occupe une place fondamentale, c’est qu’il est perçu comme une modélisation des lois divines éternelles tout comme une étude psychologique de l’homme et de son action dans le monde. La musique n’en est pas pour autant mise de côté…

Les premiers repères musicaux établis sont les intervalles et les modes. D’anciennes chroniques relatent diverses anecdotes décrivant l’effet produit par une musique écrite dans un mode particulier. Chaque mode déclenche des émotions particulières et contribue à développer des observations qualitatives, comme le mode phrygien (en montant les touches blanches du clavier de mi à mi), dont la portée serait de susciter des pulsions violentes et d’augmenter l’agressivité des guerriers.


LA DÉCOUVERTE DE PYTHAGORE

Pythagore, souvent cité dans les manuels d’histoire consacrés à la musique, aurait fait jaillir six siècles avant Jésus-Christ, ce lien fondateur qui unit les sons et les mathématiques. L’histoire raconte que Pythagore, passant devant un maréchal-ferrant au travail, remarqua que les garçons de forge tiraient d’une enclume des sons différents avec leurs marteaux. L’idée qui germa fut de comparer les variations sonores vis-à-vis du poids du marteau : l’utilisation d’un marteau, puis d’un autre deux fois plus lourd, indiquaient un rapport d’octave. En approfondissant : si le rapport était de 3/2, on obtenait une quinte.

Le philosophe s’empressa d’appliquer sa découverte sur le monocorde, un instrument composé d’une seule corde montée sur deux taquets fixes, tandis qu’un troisième, celui-ci mobile, permettait de modifier la longueur de la corde. La mise en application de la découverte semble aujourd’hui, à nos yeux, d’une logique confondante. Elle est le point de départ de l’histoire de la science moderne appliquée aux recherches des lois universelles.

Si la découverte de Pythagore illustre parfaitement le point de départ de la notion d’intervalle, c’est à Platon que l’on doit de transformer cette curiosité mystique en un discours plus intelligible et démonstratif. Plus rationnel que Pythagore, Platon va démontrer qu’une telle loi ne peut provenir que d’un ordre immanent des choses. La portée de son travail fera autorité pendant vingt siècles.

De son ouvrage le Timée, à la fois mystique et scientifique, Platon se mit à faire le partage suivant… Il retrancha d’abord une seule part sur le tout ; après celle-ci, il en retrancha une seconde (double de la première) ; et encore une troisième, qui, valant une fois et demie la seconde, devenait le triple de la première ; une quatrième, double de la seconde ; une cinquième, triple de la troisième ; une sixième, à la hauteur de huit fois la première ; et une septième, équivalent à vingt-sept fois la première. Le résultat de ces diverses fractions permet d’obtenir presque toutes les notes de la gamme majeure.


CONSTRUCTION DE LA GAMME DE PYTHAGORE

© Ratigan (2005)

Quelques siècles plus tard, la philosophie Chrétienne récupère le travail conduit par Platon. La religion étant avide de tout ce qui peut venir étayer son discours, le christianisme traduit les leçons de la science grecque sous forme de théologie, que l’on peut traduire par :« la raison est la part de Dieu dans l’homme. Il appartient à celui-ci de l’utiliser pour arracher la Création au désordre apparent des choses et de percer ainsi les intentions du Créateur. »

Désormais, des disciplines fondamentales du savoir qui entourent la Théologie forment sa cour : la grammaire rhétorique et dialectique enseigne les règles du discours et côtoient quatre disciplines approfondies (le Quadrivium) formé de l’Arithmétique, la Géométrie, l’Astronomie et la Musique (cet héritage issu de la science grecque ne sera remis en question qu’à la fin du 19e siècle).


LE BON TEMPÉRAMMENT

La vision platonicienne est trop rigide pour se confronter de façon pérenne aux nouvelles exigences. Des problèmes inévitables apparaissent quand la théorie et l’expérience se font face. L’essor des Écoles en est la première cause en développant et en mettant au point des méthodes d’analyse toute prête à critiquer les acquis : les affirmations cèdent leur place aux explications intelligibles.

Déjà, du temps des Grecs, la dure réalité se heurtait à celle du ciel, de ses planètes et de leurs parcours assignés. La musique également, notamment le problème soulevé par la succession des quintes qui n’offrait pas toutes les garanties d’obtenir une formule cyclique, c’est-à-dire partant d’une note pour arriver de quinte en quinte ascendante à la même note située quelques octaves au-dessus.

Exemple d’une progression en quinte ascendante partant de do :do, sol, ré, la, mi, si, fa#, do#, sol#, ré#, la#, mi#, si#…

L’erreur commise par Pythagore et Platon d’assimiler la note de départ (do) et la dernière note (si#) comme étant les deux mêmes distantes de plusieurs octaves va être une source de problème pour établir le bon tempérament.


L'HISTOIRE DES MUSICIENS-THÉORICIENS

Le théoricien Werckmeister tente au 17e siècle de donner bon ordre aux douze sons chromatiques (présents dans la progression des quintes). Il détermine un système d’accord du clavier où l’écart de fréquence entre les notes si# et do est réparti à égalité dans les douze degrés du total chromatique. Or, si la solution proposée par Werckmeister permet de gagner une modulation dans toutes les tonalités, elle offre l’inconvénient de détruire les résonances naturelles, ce que J.-S. Bach cherchera à démontrer dans son « Clavier bien tempéré ».

Cet exemple illustre parfaitement l’écart qu’il existait entre la théorie et la pratique, entre le théoricien, le compositeur et l’instrumentiste (ce dernier étant considéré comme l’exécutant des basses œuvres). Priorité était donnée au musicien-théoricien. De cette suprématie qui sacralise la science et le savoir va naître progressivement une mise à distance entre la musique vivante et les mathématiques.


© Jacques Ozanam (ext. Dictionnaire mathématique - 1690)

Au-delà de l’époque médiévale, les scientifiques qui se sont penchés sur la musique le feront en général avec cette attitude de musiciens-théoriciens qui cherchent à trouver dans les systèmes harmoniques des clefs pour expliquer le monde. Les recherches produites par l’astronome Johannes Kepler iront dans ce sens. Dans son ouvrage « De Harmonice Mundi », Kepler tire des conclusions suite à ses observations des mouvements planétaires : « Dans l’harmonie céleste, [j’ai trouvé] quelle planète chante la voix de soprano, laquelle chante la partie d’alto, laquelle celle de ténor et celle de basse. »

Citons également Robert Fludd qui méprisera les thèses de l’astronome allemand qu’il jugeait trop simplistes, préférant à sa « fantaisie » un autre modèle baptisé « Divine Monochard » ; ou encore le mathématicien du 18e siècle Euler, qui cherchera à établir un système arithmétique complet des gammes. Euler considère la musique en tant que théorie, le reste n’étant après tout que l’art de jouer d’un instrument.

La cassure frontale interviendra avec Les Romantiques au 19e siècle. Ils désiraient créer une rupture avec un ancien ordre des choses et placer au-dessus de tout l’âme humaine et les tourments du créateur… lesquelles n’avaient guère leur place dans les concepts médiévaux de la musique ! En même temps que la dissolution du style « classique » a eu lieu la perte de contact entre les deux voies de la musique.


MUSIQUE ET MATHÉMATIQUES AU 20e SIÈCLE

En cette fin du 19e siècle, la musique doit toujours cohabiter avec de nombreuses idées tenaces, même si sa trajectoire semble voler en éclat. En effet, le revirement du traitement sonore est spectaculaire et éloigne à tout jamais les visions de la période romantique. Il y a tout d’abord Malher qui annonce la décadence du système tonal, puis surtout Schönberg.

Dans les années vingt, le jeune compositeur initie l’art musical au dodécaphonisme. Il impose sa vérité à travers un impressionnant système que s’empresseront de suivre deux autres compositeurs Berg et Webern. Ce dernier, dans ses conférences datant des années 30 (« Chemin vers la musique nouvelle »), essaye de prouver que le dodécaphonisme s’inscrit dans une logique musicale qui part de Pythagore en passant par Boèce et Bach. Cette attitude sectaire (adopté par l’École de Vienne) se trouve justifiée et renforcée par l’arrivée au pouvoir des Nazis, dont les campagnes de dénigrement envers cet « art dégénéré » pousseront Schönberg à fuir l’Allemagne pour les Etats-Unis.

Schönberg, au lieu de se baser sur la tonalité - comme cela avait été le cas pendant vingt siècles -, construit la composition dodécaphonique en choisissant un ordre sans répétition des douze sons du total chromatique. De cette position, toute une algèbre plus ou moins élaborée est alors mise au point comme étant un outil de composition. De fait, les compositeurs hostiles au dodécaphonisme seront ignorés (Janacek, Prokofiev… et même Bartók). La vision artistique de ces musiciens arrivait à un moment de l’histoire où le monde se nourrissait de toutes sortes d’idéologies, même quand celles-ci étaient des tentatives isolées, comme le dodécaphonisme.

En anéantissant la tonalité, une idée à germer dans la tête des compositeurs : celle de se forger ses propres outils pour composer… le risque étant la dispersion, la perte de repère. Fort heureusement, face à la liberté actuelle dont jouissent les compositeurs, ce sont eux qui ont le dernier mot, avec leur vision et leur sensibilité. Toutefois, on ne s’empêchera pas de penser, à l’écoute de certaines œuvres, que la construction théorique n’a pas disparu et qu’au contraire, sa présence, se veut parfois rassurante.

Par PATRICK MARTIAL
(Source ‘Écouter Voir’ - Laurent Mazliak)


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