HISTOIRE DE LA MUSIQUE : LES PIANISTES DE JAZZ
Chucho Valdés est la grande figure du piano jazz cubain. Pianiste, arrangeur et compositeur, lauréat de plusieurs Grammy Award, Chucho Valdés n'est pas qu'un musicien à la virtuosité et à la technique époustouflante, c'est également un pianiste qui aime mélanger les genres. Avec lui, son 'jazz latino' s'habille de funk, de salsa et même de classique quand le pianiste puise son inspiration dans quelques réminiscences héritées d'un Claude Debussy ou d'un Jean-Sébastien Bach…
© Carlos Delgado - Chucho Valdés & The Afro-Cuban Messengers (concert 'Teatro Circo Price' - Madrid, Espagne - 2014)
Le pianiste Chucho Valdés est un géant, dans tous les sens du terme, aussi bien physiquement - sa stature de 1,94 m ne passant pas inaperçue sur scène - que musicalement, son jeu navigant dans des états d'âmes aussi divers que les musiques qu'il explore. Que sa musique se pare de mélodies glamours ou d'envolées harmoniques aux frontières du free jazz, Chucho Valdés offre toujours à ses auditeurs le meilleur de lui-même. Sa musique sophistiquée, soignée est sans limites. Le pianiste ne s'interdit rien, qu'il soit entouré de vétérans ou de jeunes recrues, chaque expérience, chaque formation repoussent encore plus loin son extraordinaire talent.
Dans la famille Valdés, tout le monde ou presque porte un regard attentionné sur la musique. Outre ses parents, le frère de Chucho a étudié la trompette, tandis que sa sœur, Mayra Caridad, est chanteuse et dirige à l'occasion des chorales. Quant à ses fils, ils ont appris le piano et les percussions. Pour Chucho, la famille est importante, centrale et il se doit de conserver envers elle une certaine disponibilité, aussi, retourne-t-il à Cuba dès que ses obligations professionnelles le lui permettent.
CHUCHO VALDES : CARIDAD AMARO
Chucho Valdés possède un esprit frais et jeune. Ses tenues scéniques 'branchées' cachent un âge avancé qui disparaît aussitôt que ses doigts se posent sur le clavier. Il ne manque pas également d'humour quand il esquisse un pas de danse ou quand il est pris d'un tremblement d'épaules lorsque le batá, les orishas se mettent à appeler les divinités de la santeria afro-cubaine. Sa générosité est grande et comme tous les grands artistes qui se respectent, il apporte des espaces de liberté aux musiciens qui l'accompagnent. Quand sa jeune sœur Mayra entre sur scène, si sa musique se plie à quelques facilités commerciales, Chucho conserve toujours l'esprit de famille en servant de guide. Il ne juge, ni ne condamne.
Aujourd'hui, l'époque du brillant élève de conservatoire qui a donné son premier récital à neuf ans est déjà bien loin. Il aurait pu être instituteur, mais sa passion pour la musique était trop forte, trop puissante. Parallèlement à ses études scolaires, le jeune Chucho jouera en studio ou sur scène avec son père Bebo. Malheureusement, face au système politique en place, son père décide de quitter la Havane en 1960. Chucho se retrouve alors à dix-neuf ans propulsé comme chef de famille. Le choc est rude, mais le jeune pianiste se doit de faire face à ses nouvelles responsabilités familiales. Il doit par ailleurs se libérer de l'héritage musical laissé par son père et conduire sa propre carrière artistique sous sa véritable identité...
Heureusement, ses ressources musicales semblent immenses et Chucho a l'intelligence de diversifier ses approches musicales, de ne pas s'enfermer dans une quelconque tradition musicale cubaine. Il va jouer tous les styles qui se présentent à lui, s'enrichir de ces nombreuses expériences et créer un cercle d'amis musiciens très fidèles. Chucho impose son talent et devient rapidement un pianiste sollicité. Le 'Bebo Valdés junior', tant désiré par les producteurs, est oublié et laisse place au pianiste compositeur Chucho Valdés. Dès lors, le pianiste est partout présent ou presque. Tout le monde réclame sa présence, aussi bien l'orchestre symphonique de la Havane que les vedettes de la chanson…
La musique jazz l'attire aussi. Ses sonorités, ses audaces collent bien avec son esprit aventureux. Dès 1963, il forme un trio. Mais la Havane n'est pas New York, et la musique jazz n'est qu'une musique de 'yankee'. Elle n'est pas très bien acceptée, seulement tolérée, mais surtout elle ne possède pas les accents de la musique cubaine. Qu'importe, le pianiste, parallèlement à ses autres activités professionnelles, poursuit dans cette voie et joue au sein du combo Orquesta Cubana de Música Moderna qui, sous cet étrange nom, n'est en fait qu'un orchestre aux couleurs jazz.
1970 est une année importante dans la carrière de Chucho Valdés. Alors que la musique cubaine repose souvent sur sa tradition folklorique, le pianiste va s'inspirer des rythmes africains pour composer une de ses œuvres majeures, Misa Negra. Lorsqu'il fonde en 1973, la célèbre formation Irakere (signifiant jungle), le pianiste lève le voile sur ses ambitions profondes, celle d'apporter à la musique cubaine de nouvelles lettres de noblesse, en mêlant jazz, rythmes rock et autres tambours batá.
"N'arrêtez jamais ce que vous faites. Cela aura un impact énorme dans l'évolution de la musique afro-cubaine et du jazz" lui aurait dit Dave Brubeck. Le message est entendu, car l'aventure Irakere va se poursuivre durant 27 années… 27 années durant lesquelles la formation va arpenter les festivals et les scènes du monde entier, récoltant au passage plusieurs récompenses, dont un Grammy Awards que Chucho Valdés obtiendra en 1978. Sur sa route, il retrouvera épisodiquement son père, soit à l'occasion de festivals, soit pour enregistrer ensemble (Bebo & Chucho Valdés - Juntos para siempre - 2008).
En 1999, Chucho Valdés passe à une autre offensive, celle du piano solo. Durant les années qui vont suivre, le pianiste transformera à l'occasion quelques-uns de ses concerts solo en concerts pour deux pianos. D'éminents confrères tels que Herbie Hancock, Kenny Barron, Michel Legrand, Frank Emilio, Michel Camilo, Chano Dominguez, John Lewis, Chick Corea ou Gonzalo Rubalcaba partageront l'affiche sans autre appréhension que d'être à la hauteur… car le pianiste impressionne ! Il impressionne par son expérience et sa maîtrise technique.
Quand il est le seul maître à bord, quand il part à l'aventure dans de longues improvisations, ses soudaines accélérations rythmiques croisent souvent le fer avec quelques cadences expérimentales… Avec Chucho Valdés, rien n'est dû au hasard ! Si l'on rajoute à cela ses prestations avec d'autres grands noms tels que Brandford et Wynton Marsalis, Carlos Santana, Joe Lovano, Grover Washington Jr., Dizzy Gillespie, Hugh Fraser, David Sanchez, George Benson, Taj Mahal, Max Roach, Ron Carter, Eddie Gomez, Gato Barbieri, Giovanni Hidalgo, Tito Puente, etc. que dire de plus ! Même notre cher Charles Aznavour aura le grand honneur d'être accompagné par lui...
Lorsqu'il enregistre Chucho Steps en 2010, Chucho Valdés, en rendant hommage au célèbre standard de jazz Giant Steps et à son auteur, John Coltrane, rend également hommage aux compositeurs qui ont marqué son existence : George Gershwin, Cole Porter ou Joe Zawinul. Une façon à lui de ne pas oublier ses pères musiciens, car Chucho a le cœur gros comme ça !
par Elian Jougla