DOSSIERS DIVERS



LE MÉTIER D'ACCORDEUR DE PIANO DANS LA PRATIQUE

Cette page fait suite à 'profession : accordeur de piano', un long entretien autour du métier d'accordeur de piano avec la participation d'Olivier Cordier, lui-même accordeur et utilisant l'accord à tempérament égal initié par son père, Serge Cordier.


LES IDÉES REÇUES CONCERNANT LA PROFESSION D'ACCORDEUR

Piano Web : existe-t-il des idées reçues sur votre profession ? Des anecdotes peut-être ?

Olivier Cordier : évidemment ! J'entends souvent dire certaines choses : qu'il faut jouer un piano sinon il va s'abîmer. C'est faux bien sûr. Si on n'utilise pas le clavier et la mécanique, ça ne s'use pas ! En revanche, il peut se détériorer avec les changements d'hygrométrie, trop sec ou trop humide, mais ça n'a rien à voir.

J'entends également qu'il faut accorder le piano sinon il s'abîme. Faux… si on ne l'accorde pas, c'est l'oreille qu'on abîme, pas le piano ! Un piano très faux et bas qui n'a pas été accordé pendant 10, 20 ou 30 ans, voir plus, devra subir deux interventions d'accord, rarement trois.

La première visite consiste en une remise en tension, légèrement au-dessus du diapason. Le fait d'avoir rajouté cette tension aux cordes et à la structure harmonique du piano fera que l'accord irrémédiablement bougera rapidement dans sa précision, ce qui suscitera une seconde intervention une quinzaine de jours plus tard.

Tient, vous n'êtes pas aveugle !… s'étonnent certains clients. Eh bien non, merci !

C'est vrai, qu'il y a une vingtaine ou une trentaine d'année, il n'était pas rare de rencontrer des accordeurs non-voyants (soi-disant à cause d'une oreille plus développée). Pour ma part, je sais que l'oreille d'un voyant est amplement suffisante et je pense que pour eux c'était une des rares professions qu'ils pouvaient exercer. Après, quand il y avait certains problèmes mécaniques de précision à résoudre sans la vision, comme changer une corde ou un axe à mesurer au palmer, au 100e de millimètre, je pense qu'ils ne pouvaient le faire.

J'ai fait trois ans de piano dans ma jeunesse, puis j'ai arrêté. Ce qui me reste dans les doigts suffit amplement pour être accordeur technicien. Pour l'anecdote, je ne suis donc pas pianiste, mais guitariste (musique brésilienne, jazz, blues, je joue dans une formation).

Piano Web : le fait que vous soyez avant tout un guitariste et non un pianiste, risque de surprendre de nombreuses personnes !

Olivier Cordier : souvent les gens pensent que pour être accordeur, il faut être pianiste. C'est à peu près comme si je disais qu'il faut être accordeur pour être pianiste. Un enchaînement d'octaves et une gamme chromatique sont suffisants dans la pratique. Un pianiste qui veut devenir accordeur technicien devra tout apprendre. D'ailleurs, c'est le musicien qui connaît le moins bien son instrument, car celui-ci est complexe. Il ne sait pas accorder, ne sait pas réparer une note qui ne fonctionne plus, ne sait pas remplacer une corde cassée… des manipulations que le violoniste comme le guitariste doivent savent faire tôt ou tard sur leur instrument. Mais je n'en veux pas au pianiste, le piano est un instrument complexe. C'est vrai qu'une partie des accordeurs sont eux-mêmes pianistes. À cause de leur pratique instrumentale, ils se sont intéressés ensuite au métier d'accordeur… sans oublier qu'un pianiste pourra être un piètre accordeur, et inversement !


LA DIFFÉRENCE ENTRE FACTEUR ET ACCORDEUR

Piano Web : les métiers liés au piano sont souvent méconnus et justifient amplement cet entretien… aussi, pouvez-vous nous décrire en quelques lignes les différences essentielles qu'il existe entre un facteur et un accordeur de piano ?

accordeur de piano

Olivier Cordier : ce sont deux métiers différents, mais évidemment complémentaires. D'abord, la désignation du métier de facteur de piano est mal employée à force d'être usitée : facteur signifiant fabriquer et non restaurer. Cette spécialité consiste au travail du bois, de lutherie, du meuble et des matières. C'est, par exemple, la réfection complète d'une table d'harmonie ou partielle en la flippotant (coller des réglettes de bois biseautées dans les fentes). Ou encore, le changement d'un sommier, la restauration de la mécanique qui peut être très minutieuse.

Redonner vie à un piano ancien petit à petit est forcément passionnant, en travaillant chez soi, dans son atelier. Mais ces restaurations sont très lourdes financièrement, car le nombre d'heures passées sur l'instrument peut être très important. Leurs coûts sont souvent aussi élevés que celui d'un piano de même qualité en bon état, voire plus. Aujourd'hui, je pense que certaines opérations ne sont plus rentables, sauf peut-être pour des pianos de très grande qualité. Ceci est dû également à la conjoncture actuelle, qui fait que l'on trouve de bons pianos d'occasion à des prix corrects, si l'on sait les choisir.

Piano Web : les sentiments du cœur ignorent parfois la raison !

Olivier Cordier : c'est vrai, les sentiments du cœur étant insondables, il arrive que pour des raisons affectives, un particulier tienne absolument à redonner vie à un vieux piano de famille…

Piano Web : je suppose que votre profession d'accordeur est toute différente ?

Olivier Cordier : elle se passe avant tout chez le client : c'est l'accord, le réglage et la réparation. De plus, on n'a pas de problèmes de transport et le client peut observer le travail que l'on fait devant lui. Je ne fais donc pas de travail de lutherie et de bois, mais je peux recorder, recheviller, changer les marteaux (je les envoie à un spécialiste qui refait les feutres). J'interviens également sur toutes les pannes courantes comme : notes bloquées, touches ou manches de marteaux cassés, changement d'axes ou de cordes… Un accordeur ne peut être qu'accordeur, il doit pouvoir apporter une réponse aux pannes courantes lorsqu'elles se présentent.


APPRENDRE LE MÉTIER D'ACCORDEUR

Piano Web : pour celui qui souhaiterait suivre votre voie, quelles sont les qualités essentielles d'un bon accordeur ?

accorder un piano

Olivier Cordier : je pense qu'il faut déjà être curieux naturellement de ce qui se passe dans un piano, tant au niveau de son acoustique que sur un plan technique. Ensuite, il faut posséder de la persévérance car, après la curiosité, il y a le travail, parfois fastidieux, surtout en parlant de l'apprentissage de l'accord ! Mais si l'apprenti accordeur a le souci d'une certaine perfection dans son travail, il surmontera facilement cette difficulté. La récompense d'un tel travail, n'est pas seulement d'ordre "pécunier", mais dans la satisfaction et la joie qu'éprouve le client à découvrir son piano nouvellement accordé.

Piano Web : un de vos projets est de créer une école d'accordeur qui suivrait les travaux de votre père. Actuellement, existe-t-il des écoles de formation capables de former convenablement au métier d'accordeur ?

Olivier Cordier : malheureusement, au sujet de l'accord, spécifiquement, je ne pense pas que tout soit fait pour recevoir un bon apprentissage en France. Des apprentis et d'autres accordeurs sont d'ailleurs du même avis. On ne donne pas assez de sérieux et de temps pour cette spécialité qui est complexe, tant matériellement que techniquement, surtout la première année. Si l'apprenti a eu de bonnes bases, il peut se construire les années suivantes.

Piano Web : c'est une façon de valoriser l'expérience et la pratique sur le tas comme de nombreux métiers d'artisanat…

Olivier Cordier : il y a de bons éléments en France, mais ceux-ci y sont arrivés grâce à leur passion et à leur talent. Parfois, la rencontre avec d'autres accordeurs, tout aussi sérieux et passionnés qu'eux, contribue également à leur réussite. C'est pour cela que j'aimerais faire profiter de mon expérience professionnelle à travers une école de formation d'accordeur technicien du piano. Ce projet, qui en est pour l'instant à ses balbutiements, suivrait les travaux de mon père tels qu'il me les a appris.


LE PIANO ACOUSTIQUE... "SENTIR LES NOTES SOUS LES DOIGTS"

Piano Web : au niveau économique, l'arrivée d'une technologie de plus en plus performante et un rapport qualité/prix des plus avantageux a mis en avant un rival redoutable, le piano numérique. Votre profession a ainsi été bousculée. D'autre part, l'achat d'un bon piano est un investissement financier qui se calcule, surtout en temps de crise économique. Comme avocat de la défense, quels sont vos arguments pour défendre votre client… le piano acoustique ?

Olivier Cordier : mon argument principal pour défendre le piano acoustique serait : "laissez vivre les accordeurs, jouez du piano acoustique !!". Mais cet argument n'en étant pas forcément un pour les pianistes, vu qu'ils payent, soyons plus sérieux. Je ne suis pas aussi sûr que le piano numérique soit plus avantageux en rapport qualité/prix que l'acoustique, à part évidemment les pianos de grandes marques ou à queue. Entre environ 1500 et 4000 €, on peut trouver des pianos droits d'occasion très corrects, entre 10 et 40 ans qui joueront encore de très nombreuses années.

Pour les neufs, il faudra compter à partir d'environ 3000 €. J'accorde encore souvent des pianos qui ont dépassé le siècle et qui sont en bon état, leur robustesse m'étonnera toujours ! Je ne dis pas que c'est toujours le cas, certains autres sont détruits, car trop utilisés ou restés dans des pièces beaucoup trop humides ou trop sèches. J'aimerais bien savoir l'état d'un numérique avec ses composants électroniques et plastiques après un siècle. Je pense qu'avec une utilisation et une exposition à l'hygrométrie égale, le piano acoustique est plus solide.

Piano Web : le numérique a pourtant des avantages sur l'acoustique…

Olivier Cordier : oui… malheureusement pour moi et heureusement pour le pianiste, il n'a pas besoin d'être accordé, se transporte plus facilement, à un système de sourdine numérique avec casque très efficace (adaptable aujourd'hui sur l'acoustique - voir... Équiper son piano d'un système silencieux), et a une grande variété de sons différents. Certes ce n'est pas rien, mais je suis sûr que l'acoustique existera toujours et en bonne proportion, car outre les arguments que j'ai déjà énoncés, il y en a d'autres.

Beaucoup de pianistes me l'on dit, et j'en conviens, que pour la nuance, l'expression sonore, la précision du clavier et de la mécanique, rien ne remplacera le piano acoustique, surtout pour ce qui est de la musique classique et de certains jazz. Il est assez difficile de commenter cela, mais ces pianistes me disent qu'ils "sentent les cordes sous les doigts" et que le son du numérique, en comparaison, est un "son mort". Je ne remets pas en cause les avantages du numérique, mais voilà les différences et vivent celles-ci. Il est certain que le numérique a fait du mal à la profession, mais comme je suis persuadé de l'immortalité de l'acoustique, elle ne peut que perdurer.

Piano Web : en conclusion, peut-être quelques mots d'amour pour décrire votre profession…

Olivier Cordier : en ce qui me concerne, pour parler du travail de l'accord en particulier, je pense que la notion d'amour est un peu forte, car il y a un effort de patience, de concentration et de perfection qui peut être fatigant. C'est plus le sentiment de rendre service à la musique, d'avoir les félicitations du pianiste, la fierté du travail accompli et le souci de perfection qui font aimer ce métier.

Entretien réalisé par Elian Jougla (Piano Web - 11/2009)


ÉCRIRE À M. OLIVIER CORDIER : olivier.cordier1@sfr.fr

CONSULTER SON PARCOURS : OLIVIER CORDIER

LES PAGES "LES MÉTIERS DU PIANO"

01 - CONNAISSANCE DU MÉTIER

02 - MÉTIERS LIÉS AU PIANO

03 - FORMATIONS TECHNICIEN DU PIANO

04 - LA PROFESSION D'ACCORDEUR (entretien)

05 - LE MÉTIER D'ACCORDEUR DE PIANO DANS LA PRATIQUE (entretien)

06 - LE TEMPÉRAMENT ÉGAL À QUINTES JUSTES (conférence)

07 - RELATION ACCORDEUR ET PIANISTE (conférence)

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