HISTOIRE DE LA MUSIQUE : LES PIANISTES DE JAZZ
Cecil Taylor est une des figures les plus controversées de la musique jazz. Pianiste tout en énergie, il aborde la musique avec la détermination d'un marathonien et ses concerts sont souvent des démonstrations de puissances. Parfois, il lui arrive que son passé de danseur ressurgisse et qu'il improvise une chorégraphie autour de son piano.
© Charles Rotmil - Cecil Taylor (1960)
Cecil Taylor : "Depuis toujours, nous, les musiciens Noirs, nous considérons le piano comme un instrument de percussion, nous battons le clavier et nous pénétrons l'instrument. La force physique entre dans le processus de la musique noire. Qui ne l'a pas compris n'aura plus qu'à hurler.".
Cecil Taylor a une passion pour les tambours et les chants des Indiens d'Amérique et cette sensibilité transpire dans sa musique ; lui-même étant conscient d'être à la fois l'héritier des victimes du génocide des Indiens et de celui de l'esclavagisme des noirs. Comme beaucoup de musiciens novateurs, Cecil Taylor a pris les racines de la musique jazz et ses standards. Ils les a exploitées bien au-delà de leurs formes normalisées. Sa conception personnelle de la musique fait de lui un musicien original et parfois déroutant.
Face à son piano, Cecil Taylor donne l'étrange impression d'être tout à la fois debout ou presque à genou, dressé ou prêt à bondir, se ployant par moment comme dans une sorte de révérence envers l'instrument qu'il chérit.
Redouté par les loueurs d'instrument, combattu par d'innombrables détracteurs qui le perçoivent comme un iconoclaste du clavier, ce terroriste des touches, ce massacreur de feutres avait souvent devant lui un piano usé à la place d'un instrument flambant neuf. Or, le rapport avec l'instrument, chez Cecil Taylor, témoigne d'un profond respect envers celui-ci, mais sa conception de jeu, sa vision de dépasser les limites de l'instrument, le martyrisant jusqu'à la limite de ses imperfections, fait oublier à certains, qu'un piano n'est pas seulement un meuble, mais une machine qu'il faut dominer, qu'il faut apprivoiser. Face à Cecil Taylor, un "Glenn Gould" ferait office d'enfant sage.
CECIL TAYLOR : PIANO SOLO
Les influences de Monk, Brubeck et Ellington vont l'amener à repenser totalement son approche de la musique. Il va se libérer des structures habituelles, prolonger les œuvres des musiciens bop et élargir les métriques rythmiques. Sa rencontre avec Lennie Tristano est déterminante dans sa vision de l'improvisation.
Sa musique est très en avance, sans faire référence à un quelconque emprunt. Elle est, sur le plan de la continuité rythmique, d'une surprenante liberté vis-à-vis des standards. Comme souvent dans la musique "Free", elle émane d'une création collective née de l'interprétation de schémas très ouverts, mariant les tensions et les détentes, les explosions et les abandons.
Cecil Taylor impose un monde sonore surchargé, difficile, sans "charmes" dont les sonorités ne font pas toujours plaisir. À sa manière, il dramatise "son monde sonore". Ce qu'il joue est voulu, très minutieusement. Cela correspond au résultat d'une approche précise, fidèle à ses capacités techniques. Il faut reconnaître qu'entendre jouer des "clusters" (bloc de notes compact) ou autres artifices propres à la technique "Free" pendant plus d'une heure, peut pour l'auditoire devenir une expérience épuisante (ma rencontre personnelle avec l'Art Ensemble of Chicago, lors d'un concert, me reste encore en mémoire !)
Si la musique de Cecil Taylor est issue d'une démarche collective quant à sa fabrication, elle est très individuelle quant à son expression. Son œuvre reste en suspens, inscrite à une époque où le "Free jazz" était à son apogée, mais qui aujourd'hui, lors de ses concerts tend à se distendre et à renouer avec une vision "jazzistique" plus sage.
par ELIAN JOUGLA