HISTOIRE DE LA MUSIQUE : LES PIANISTES DE JAZZ



MARY LOU WILLIAMS, BIOGRAPHIE/PORTRAIT D'UNE GRANDE DAME DU JAZZ

Mary Lou Williams est la première dame du jazz que l'histoire de la musique américaine a retenue. Surnommée dans sa petite enfance 'la petite fille du piano', elle pose ses doigts sur l'instrument à un âge précoce pour se produire en public peu de temps après. Pianiste brillante, elle jouera un style stride ainsi que boogie-woogie, mais surtout elle sera toujours à l'écoute des nouvelles tendances, des plus jeunes comme des plus renommées. Sa musique reste très influencée par le blues, sans oublier la musique d'inspiration religieuse.


LES DATES IMPORTANTES DE LA VIE DE MARY LOU WILLIAMS

© William P. Gottlieb - Mary Lou Williams (1946)

  • 1910 - Mary Lou Williams (de son vrai nom Mary Elfrieda Scruggs) est née à Atlanta, en Géorgie, le 8 mai 1910.
  • 1914 - Elle a quatre ans lorsqu'elle apprend le piano. On la surnomme 'The Little Piano Girl' pour s'être produite très jeune en public.
  • 1926 - Elle épouse le saxophoniste John Williams à 16 ans et joue dans l'orchestre d'Andy Kirk, les Twelve Clouds of Joy pour lequel elle écrit des arrangements jusqu'en 1942, année où elle les quitte.
  • 1937 - Elle compose pour de nombreux artistes de jazz, notamment Louis Armstrong, Benny Goodman et Duke Ellington.
  • 1942 - Mary Lou Williams crée son propre orchestre avec son second mari, le trompettiste Harold Baker.
  • 1945 - Elle compose une suite intitulée Zodiac Suite, pour fonder ensuite un orchestre composé exclusivement de femmes.
  • 1957 - Mary Lou Williams, tout en fréquentant la jeune génération de musiciens be-bop, tels que Thelonious Monk, Dizzy Gillespie ou Bud Powell, elle ouvre de plus en plus son répertoire vers le gospel, influencée par sa conviction religieuse profonde.
  • 1981 - Elle décède le 28 mai 1981 des suites d'un cancer à Durham, en Caroline du Nord.

QUAND LE JAZZ SE CONJUGUE AU FÉMININ

Alors que les premières princesses du blues ont pour nom Ethel Waters, Ma Rainey, Mamie Smith ou Bessie Smith et que le jazz imposera sur le devant de la scène des chanteuses comme Billie Holiday ou Ella Fitzgerald, au royaume des instruments, la gent féminine brille par son absence. Jusqu'aux années 30, le jazz féminin est avant tout un jazz vocal. À cette époque, la présence d'une chanteuse dans un orchestre était un atout non négligeable, surtout un atout de séduction capable d'attirer un plus large public.

Pourtant, les musiciennes ne manquaient pas, notamment les pianistes qui subissaient l'apprentissage de l'instrument pour des raisons éducatives et sociales. En jazz, comme dans d'autres domaines artistiques, la femme américaine est demeurée longtemps une 'femme objet', et à ce titre, son talent ne devait être mis en lumière qu'en déployant ses charmes face à un micro et non derrière un instrument.

Les orchestres féminins qui ont vu le jour étaient considérés comme des attractions musicales de second plan. Pour les musiciennes téméraires qui osèrent affronter la domination masculine, le pari était perdu d'avance. Quelques pianistes et chanteuses comme Alice Babs et Rose Murphy n'hésitaient pas à improviser derrière leur instrument, mais l'histoire comme le public ont plutôt retenu leur qualité vocale. Dans le cas de la pianiste et chanteuse Lil Armstrong, c'est le talent de son mari Louis qui éclipsera le sien. En accompagnatrice dévouée, elle organisera et assistera les séances d'enregistrement du Hot Five et du Hot Seven. Modestement, elle dirigera son propre orchestre. Citons également Hazel Scott. Cette pianiste et chanteuse ne manquait pas de talent quand elle improvisait sur des thèmes de musique classique.

Si ces artistes féminines sont passées à côté de la notoriété, l'histoire du jazz d'avant-guerre va retenir le nom d'une seule pianiste : Mary Lou Williams. Le talent de cet artiste va se révéler très tôt. Son surnom 'Little piano girl' est le témoignage d'une précocité musicale qui ne se démentira pas avec les années.


MARY LOU WILLIAMS, L'ICÔNE FÉMININE DU JAZZ D'AVANT-GUERRE

Mary Lou Williams commence le piano toute seule. Dotée d'une excellente oreille, elle était capable de relever les spirituals et les ragtimes que jouait sa mère, cependant son véritable apprentissage pianistique débute sous le regard attentif de madame Alexander, son professeur de musique qui formera Billy Strayhorn, le pianiste de l'orchestre du 'Duke' et Erroll Garner. Rapidement, le style comme les idées de Mary Lou Williams vont être influencés par Lovie Austin, une compositrice et arrangeuse des années 20.

En 1915, la famille part s'installer à Pittsburgh, dans le quartier de Liberty East. La jeune enfant est remarquée pour son oreille juste et son étonnante mémoire. Elle apprend quelques mélodies des pionniers du jazz, les doigts constamment collés au piano depuis que l'instrument trône dans la maison...

À l'âge de 7 ans, pour soutenir sa famille nombreuse (elle a 10 frères et sœurs), Mary Lou Williams commence à se produire clandestinement en public et récolte ses premiers pourboires. Cinq ans plus tard, elle participe à des spectacles de vaudevilles musicaux et reçoit la coquette somme de 30 $ par semaine. Les concerts l'amèneront à visiter Detroit, Chicago ou Saint-Louis... C'est lors d'une tournée qu'elle rencontre son futur mari, le saxophoniste John Williams, alors chargé de la direction de l'orchestre (elle l'épousera en 1926, à l'âge de 16 ans).

Le talent de Mary Lou Williams attire l'attention des grands pianistes de l'époque. Elle rencontre Jelly Roll Morton et Fats Waller et ne boude pas son plaisir de jouer en leur compagnie dans des duos improvisés. Après un bref séjour d'une semaine au Théâtre Lincoln de New York avec The Washingtonians dirigé par un tout jeune chef d'orchestre, le dénommé Duke Ellington, la voici trois ans plus tard, en 1929, comme pianiste accompagnatrice au sein de la formation du saxophoniste Andy Kirk, The Twelve Clouds of Joy. Pour cette formation, elle va écrire des arrangements ainsi que quelques chansons comme Twinklin, Cloudy et Walkin' and Swingin.

Ce petit orchestre va servir de tremplin à quelques noms célèbres de jazz : Floyd Smith, Buddy Tate, Fats Navarro, Howard McGhee, Don Byas, Jimmy Forest, etc. Pendant plus de dix ans, Mary Lou Williams va apporter une sorte d'équilibre, une stabilité à l'orchestre. Soucieuse d'obtenir une certaine autonomie dans ses orientations musicales, sa carrière indépendante ne débutera que bien plus tard, en 1942.

En 1930, en enregistrant ses premières compositions, Drag 'em et Night Life, elle réalise un aparté musical qui va la révéler au grand public. Tout en restant dans l'orchestre d'Andy Kirk, elle commence un travail d'arrangeur indépendant auprès de quelques musiciens en vue : Benny Goodman, Tommy Dorsey, Cab Calloway, Louis Armstrong… En 1937, elle produit Roll'em, un de ses premiers boogie-woogies au swing éclatant. Benny Goodman séduit par la qualité de son travail, lui propose un contrat en exclusivité, mais Mary Lou refuse, préférant garder son indépendance.

Quand elle quitte l'orchestre d'Andy Kirk, en 1942, Mary Lou Williams revient s'installer à Pittsburgh et fonde avec son second mari, Harold Baker (ancien membre de The Twelve Clouds of Joy), un combo de 6 jeunes musiciens comprenant Art Blakey à la batterie (1942). Suivant les conseils de ce dernier, Mary Lou Williams écoute avec une oreille attentive un nouveau style de jazz baptisé 'be-bop' qui commence à se répandre dans les clubs new-yorkais. La pianiste part à la rencontre de ses chefs de files : Parker, Gillespie, Monk…

Peu de temps après, son mari Harold Baker décide de rejoindre l'orchestre de Duke Ellington. Mary Lou Williams, qui suit la tournée, profite des retrouvailles avec le 'Duke' pour lui écrire quelques arrangements, dont Blue Skies...


MARY LOU WILLIAMS : THE MAN I LOVE

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MARY LOU WILLIAMS, UNE PIANISTE AURÉOLÉE D'UNE FOI INTENSE

Au milieu des années 40, toujours en avance sur son temps, la pianiste lance une émission de radio hebdomadaire 'Mary Lou Williams's Piano Workshop'. Cette émission lui donne l'occasion d'inviter la jeune garde du be-bop naissant. À cette époque où le langage du jazz subit une crise identitaire, elle compose et interprète la Zodiac suite (1945), une œuvre ambitieuse pour trio jazz et orchestre symphonique. Une sorte de '3e courant' avant l'heure et qui illustre en plusieurs tableaux sonores les différents signes du zodiaque.

Après deux années passées en Europe, de 1952 à 1954, où elle se produit notamment dans des clubs londoniens, Mary Lou Williams de retour aux États-Unis, se retire de la scène pour se consacrer à sa foi catholique. Lassée par les turpitudes de sa vie d'artiste, c'est durant cette période qu'elle se voue à des causes humanitaires en créant la fondation 'Bel Canto' qui vient en aide aux musiciens toxicomanes… Dizzy Gillespie, qui ne l'a pas oubliée, exhorte la pianiste à se produire de nouveau sur scène. Son grand retour se déroulera lors du festival de Newport 1957 au sein de l'orchestre de Dizzy.

Durant les années 60, l'activité artistique de la pianiste va devenir très éclectique. Tout en se produisant en trio dans des clubs de Manhattan et à la télévision, elle est la première femme à fonder un label et une société d'édition, ainsi qu'un festival de jazz se déroulant à Pittsburgh.

L'âme blues, auréolée d'une foi intense, inspire la pianiste. Ses nouvelles compositions musicales se parent de la couleur sacrée. Elle écrit des hymnes et des messes à la gloire de Jésus, dont Music for Peace (1969), une commande du Vatican qui sera dansée par le Alvin Aziley Dance Theater (1971) et Black Christ of the Andes (1962), en hommage à St. Martin de Porrès. N'abandonnant pas la scène jazz, elle se produit au festival de jazz de Monterey en 1965 et 1971. Toujours à l'écoute d'un jazz toujours plus libre, elle rencontre des musiciens d'avant-garde, comme le pianiste Cecil Taylor, avec qui elle se produit en duo au Carnegie Hall (1977).


Dans les dernières années de sa vie, sa poursuite des causes humanitaires la conduira à créer et à s'occuper d'un organisme de bienfaisance, avec cette même constance d'aider les musiciens dans le besoin (elle ira jusqu'à céder un pourcentage sur ses propres revenus).

Pianiste aux multiples talents, mariant avec bonheur le blues, le swing de Kansas City, les accents du Bop jusqu'aux gospels, Mary Lou Williams aura atteint un statut que beaucoup de femmes dans le jazz ont désiré, celui d'un respect sans faille de la part de ses collègues masculins, une équité rare qu'il faut ici souligner. Son fidèle ami, le Père Peter O'Brien conduira et organisera les dernières années de sa carrière d'une main de maître. Il lui offrira l'occasion d'assouvir une autre de ses passions dévorantes, celle d'enseigner l'histoire du jazz (elle sera nominée à la Duke University en tant qu'artiste en résidence de 1977 à 1981).


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