ANALYSE MUSICALE



L’OFFENSIVE DES SYNTHÉTISEURS DANS LA MUSIQUE

À la façon d’un dicton, nous pourrions dire que “chaque époque a sa musique, et que la musique utilise la technologie de son époque.” De nos jours, un claviériste doté d’instruments électroniques ne surprendra personne. Un tel équipement est devenu tout aussi acceptable que d’avoir à la maison un piano acoustique. Or, dans les années 60 et même lors de la décennie suivante, cela ne tombait pas sous le sens !


LE SYNTHÉTISEUR, UNE QUESTION DE CRÉDIBILITÉ

Nous sommes au milieu des années 60. Sur scène, la guitare électrique est l'instrument roi des groupes de rock. À ses côtés trône parfois un imposant orgue électrique, le plus souvent un Hammond, le seul clavier électrique avec les pianos Fender Rhodes et Wurlitzer à faire de l’ombre à la six cordes.

Jusqu’à la fin des années 60, rien de ce qui va être apporté dans le domaine de la recherche sonore n’est réellement convaincant. De plus, certains instruments électroniques sont encore trop complexes, trop fragiles ou trop instables pour faire le bonheur d’une majorité de pianistes qui estiment encore leur place dans des laboratoires de recherche sonore plutôt que sur scène, lors d’une tournée.

La "prise de pouvoir" du synthé ne s'est donc pas faite en un jour, malgré le son Hammond de I’organiste Jimmy Smith qui étonna l'après-guerre et malgré la modernité du son du Wurlitzer de « What'd I say » par Ray Charles en 1959. L’un et l’autre de ces instruments demeuraient fondamentalement pour leurs utilisateurs un orgue et un piano, jusqu’au jour où un certain Robert A. Moog allait bousculer la routine en proposant le synthétiseur modulaire.

© Kimi95 (Wikipedia) - Moog Modular 55

Quand en 1968, Robert A. Moog cherche à vulgariser l’instrument, il réussit l’exploit de concilier la miniaturisation, la portabilité et une relative stabilité des composants, sans compter des possibilités sonores étendues et encore inconnues. Tout par de là, ou presque, pourrait-on dire. Cependant, l’approche du Moog modulaire - comparé aux claviers électroniques actuels - demande à son utilisateur une bonne connaissance du fonctionnement de chaque module et de leur interaction.

Si le synthétiseur n'est pas resté un « joujou », et s'il a franchi les différentes étapes qui l'ont conduit à devenir un instrument crédible auprès du grand public (et des musiciens réfractaires à toute évolution), il le doit à des claviéristes qui ont bataillé pour l’imposer comme un instrument révolutionnaire, capable de modifier l'expression musicale des années à venir.

Avaient-ils tort ? Pas vraiment !

La pochette du disque 'Switched on Bach'

Le meilleur exemple nous est donné dès 1968 avec Walter Carlos et son disque ‘Switched on Bach’ où le musicien s’attaque à des œuvres de Bach. Un pas venait d’être franchi, même si le chemin qui conduisait à la reconnaissance d'une musique électronique populaire, via la musique classique, possédait une bonne dose de provocation. Toutefois, cela n'empêchera pas le disque de battre des records de vente. ‘Switched on Bach’ permettra d’obtenir une première photographie sonore d’une musique entièrement réalisée avec des synthétiseurs modulaires Moog. La suite de l'aventure sera confiée aux musiciens et techniciens anglais.

À la charnière des années 70, les musiciens d'outre-Manche vont se retrouver dans les studios et tenter de tirer le meilleur parti des nouvelles sonorités électroniques. L'introduction du matériel électronique dans les studios était une façon d’admettre sa légitimité dans les productions musicales d’envergure ou dans celles plus confidentielles de quelques groupes encore inconnus.

À cette époque, la formation d’un claviériste passait obligatoirement par l’usage du synthétiseur, au sens large de sa définition. Dans les studios, la qualité de la prise de son et l'amélioration de l'amplification seront des données qui compteront pour beaucoup dans l'acceptation du synthé. Cette évolution a été encore plus radicale quand des arrangeurs de renom se sont attachés à leur présence dans les chansons.


L'ARRIVÉE DU SYNTHÉTISEUR DANS LES PRODUCTIONS MUSICALES

La musique pop-rock est la première à canaliser immédiatement les premières recherches. Le synthétiseur trouve rapidement une place de choix parmi les autres claviers. Sa présence complète admirablement le dispositif du claviériste sur scène ou en studio, à côté du piano et de l’orgue.

© Barclay - La pochette du disque 'Pop Corn'

Au départ, les atouts du synthétiseur sont des plus séduisants : économique à la production, pratique aussi parce que compact et transportable, l'instrument est d'une grande polyvalence sonore et il s’incorpore aisément dans les groupes de rock jusqu'à modifier, par ses interventions, leur identité. Les Beatles, puis les Pink Floyd, Emerson Lake and Palmer, Yes ou Genesis, créeront avec un matériel d'avant-garde une dimension lyrique dans le genre “nouvelle vague”.

D'ores et déjà, le jeu de clavier passe de manière irréversible par la recherche électro-acoustique dans sa partie la plus démonstrative en créant des effets saisissants. Le synthétiseur bouleverse les codes par sa richesse et ses possibilités futures. Le rock allemand, à l'image de Tangerine Dream, crée des musiques entièrement dédiées à l'électronique. La musique dite “commerciale” sentant la bonne affaire décide de s’en emparer...

L’exemple le plus frappant est certainement le Pop-Corn des Hot-Butter avec sa ritournelle obsédante. Pour le grand public, le synthétiseur ouvre les portes de la “modernité”. Les tubes se suivent, mais deviennent hélas trop rapidement vides d'émotion et meurent comme une mode lancée à la va-vite. Une pléiade de musiciens prend alors une autre direction et commence à plagier, le plus souvent, des œuvres déjà consacrées.

Cette petite révolution sonore, c’est dans les « jingles » publicitaires de radio et les indicatifs de télévision qu'elle va trouver une place confortable. Peu importe l’originalité, pourvu que les sons provoquent l’ivresse recherchée. Par ailleurs, le marché du disque français encore frileux commence à y croire et offre aux musiciens épris de techniques la possibilité de divulguer leur univers sonore fait d'évasion et de rêve, ce qu'appliquera parfaitement Jean-Michel Jarre dès 1976 avec son album Oxygène. D'entrée, le public se prendra de passion pour ces sons étranges, comme venus d'ailleurs, là où l'espace et I'Infini invitent si bien l'imaginaire.

Néanmoins, si en France Jean-Michel Jarre a apporté une contribution indiscutable, une des pages plus confidentielles de l’histoire du synthétiseur se trouve ailleurs, dans le cinéma, notamment dans les comédies populaires et les documentaires, quand l'instrument a pris place au sein des orchestres. En France, le compositeur François de Roubaix sera un précurseur. Ce multi-instrumentiste passionné par le son et pionnier du home-studio mixera souvent aux instruments acoustiques de subtiles sonorités électroniques. De même, le compositeur grec Vangelis apportera sa vision toute personnelle dans de nombreux documentaires, en créant de véritables tableaux sonores par sa façon de mixer et de juxtaposer les timbres de ses claviers.

Depuis ces années pleines d'incertitudes, que de chemin parcouru ! D’accessoire, le synthétiseur est devenu au fil du temps un outil essentiel, au point de se suffire à lui seul dans un grand nombre de productions. De nos jours, on ne compte plus les musiciens et les compositeurs qui construisent leur carrière artistique en considérant le synthétiseur comme un outil majeur de leur expression musicale, au même titre que le piano.


IL Y A SYNTHÉTISEUR ET SYNTHÉTISEUR !

Si I’orgue électronique est un instrument qui possède son propre timbre ou plus exactement toute une série de timbres, le synthétiseur n'en possède pas de particulier. C'est par excellence un instrument universel auquel on peut demander de créer des sons simples ou complexes pour des emplois variés : bruitage, fond sonore, solo...

D'accord ! Mais côté définition, qu'est-ce qu'un synthétiseur ?

Extérieurement, le synthétiseur se présente comme un boîtier électronique miniaturisé avec divers curseurs et potentiomètres et contenant en son cœur une multitude de transistors et de circuits intégrés. L’instrument associe plusieurs dispositifs destinés à travailler autant que possible le son dans ses grandes largeurs : hauteur, timbre, résonance, puissance, durée, etc.

L’instrument doit être en mesure de produire une gamme très étendue, allant des “sons purs” aux bruits ; une variété de timbres d’instruments réalisés par une série de filtres et d’enveloppes, et dont la sortie est contrôlée généralement au moyen d’un clavier.

Pour finir, le synthétiseur est aussi le premier instrument sur lequel il est possible d'exécuter directement des sons électroniques par des musiciens non aguerris à la programmation (présets, sons d’usine). Avec un tel outil entre ses mains, le synthétiste amateur détient une multitude de combinaisons et des centaines de sons qu'il peut appeler en un instant grâce à des banques de sons.

Toutefois, s’il est aisé de définir les contours de l'instrument en quelques lignes, le mot 'synthétiseur' ne pourra échapper à la commodité de langage. C’est ainsi que certains claviers seront nommés « synthétiseur » parce qu’il était difficile de les ranger dans une autre catégorie. C’est le cas par exemple des claviers totalement polyphoniques qui génèrent exclusivement des sections de cuivres ou des ensembles à cordes (le 'String Solina', pourquoi pas !). Dans leur conception, ils sont à rapprocher des orgues électroniques que l'on aurait spécialisés dans l'imitation d'un nombre limité d'instruments.

© Kimi95 (Wikipedia) - ARP String ensemble

C'est seulement dans les années 70 que les synthétiseurs se spécialisent pour convenir à la scène. L'apparition des 'presets' va booster leur utilisation. Ce sont des claviers qui peuvent délivrer, par la simple pression d'une touche ou d’un bouton dédié, un timbre qui aura été préréglé. Ce préréglage est alors établi d'avance par le constructeur. Parmi les instruments inévitables, on trouve des cuivres comme le trombone ou la trompette, des bois comme la clarinette, des cordes frottées ou en mode pizzicato, un ou deux orgues, un clavinet, etc. Comme l'instrument s'appelle synthétiseur et qu'il fallait sacrifier au goût du jour, le clavier possédait quelques timbres spécifiques, vaguement cosmiques ou configurés pour servir une mélodie. Notons au passage que cette possibilité de jouer avec des sonorités préréglées se retrouvera des années plus tard chez Yamaha avec les 'Portasound', qui sont des petits claviers, bien équipés du côté automatisme, et qui serviront d'instruments d'apprentissage auprès d'un grand nombre de débutants.

Ensuite, nous avons le clavier avec des capacités de recherche limitées. Les différents réglages sont confiés à des potentiomètres, des commutateurs, voire des inverseurs, et peu ou pas du tout de touches de préréglage. Les liaisons entre les modules (VCA, VCO, LFO, etc.) se font par des commutateurs qui limitent de fait les possibilités de I’instrument en autorisant uniquement des “branchements logiques”. Ce type d'instrument, dont le prix est généralement abordable pour le musicien amateur, est un excellent outil intermédiaire pour celui ou celle qui souhaite s’initier au synthé avec un maximum de réussites.

Enfin, la toute dernière catégorie est celle des appareils de recherche et entièrement modulaire. Ceci signifie en théorie que I’on peut ajouter autant de voix qu’on le désire : oscillateurs, filtres, etc. De nos jours, la programmation de ce genre de synthé est épaulée par des logiciels sur ordinateur.


À PROPOS DU SYNTHÉTISEUR MODULAIRE

Au départ, le synthétiseur est un instrument modulaire. Modulaire, cela signifie qu’il se compose d’une série de parties distinctes susceptibles de satisfaire chacune une fonction. Ce sont comme des compartiments séparés qui permettent au musicien d’opérer la recherche d’un son avec plus de facilité.

Ces modules sont assemblés les uns aux autres suivant des configurations qui dépendent de son utilisateur. Le synthétiseur modulaire peut posséder un nombre limité de modules ; ces modules peuvent aussi être multipliés et réunis pour composer un instrument encore plus performant - mais aussi plus difficile à maitriser.

Vu de l’extérieur, le synthétiseur modulaire ressemble à un standard téléphonique d’antan. C’est un instrument dans lequel les liaisons entre les modules ne sont pas établies par des boutons poussoirs ou des commutateurs, mais par des cordons enfichables. D’autre part, les liaisons par cordons ne sont pas fixes et exigent une certaine connaissance et une grande pratique pour pouvoir en tirer parti. Le synthétiseur modulaire est donc un instrument difficile d’accès, mais qui permet d’obtenir des sonorités d’une grande originalité.

Par ELIAN JOUGLA (Piano Web - 12/2021)

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