HISTOIRE DE LA MUSIQUE ET DES INSTRUMENTS



LES DIX ANNÉES PHARES DU SYNTHÉTISEUR ANALOGIQUE

Quand nous songeons à l'histoire du synthétiseur, nous serions tentés de relater les premières années de recherche en laboratoire et leurs cortèges d'incertitudes ou bien l'arrivée de la miniaturisation, si essentielle. Cependant, la période la plus passionnante et durant laquelle l'instrument est parvenu à s'illustrer réellement dans la musique commence avec les seventies et des groupes de rock tels que les Pink Floyd, Tangerine Dream, Emerson, Lake and Palmer ou les solitaires Jean-Michel Jarre et Vangelis...


LE SYNTHÉTISEUR, LA RÉALITÉ DE DEMAIN

L'arrivée de l'instrument a bouleversé les codes de la création musicale dès que les groupes de rock sont passés des sons de l'orgue Hammond à ceux des synthés Moog. Cela signifiait ouvertement que l'orgue était passé de mode après une vingtaine d'années de bons et loyaux services. Les travaux de l'ingénieur américain, Robert A. Moog, faisait découvrir à de jeunes pianistes ébahis l'immense potentiel sonore du synthétiseur. Nous sommes alors au cœur des années 1960 et le synthétiseur s'invite par la petite porte. Mais pas pour longtemps ! Malgré sa complexité toute relative, les musiciens de rock les plus aventureux ont conscience que ce dernier-né de la technologie instrumentale ouvre de nouveaux horizons, et qu'il est essentiel de se pencher sur ce cerveau électronique qui dispense déjà les rêves qui peupleront la réalité de demain.

En moins de dix ans, la formation d'un bon claviériste de rock passait par une connaissance globale du synthétiseur, une compétence qu'il était contraint d'associer conjointement à l'évolution de la prise de son et de l'amplification. Cette maîtrise était encore plus indispensable lorsque le musicien avait pour objectif de s'attacher à produire un jeu personnel sur l'instrument. Techniquement, il ne devait plus penser piano ou orgue, mais synthé et rien que cela. On songe alors à la musicienne Wendy Carlos, celle qui avait tenté d'imposer une ligne de conduite totalitaire en reprenant du J.-S. Bach (Switched-On Bach en 1968). Cette performance énorme pour l'époque, reposant sur un emploi unique de synthés modulaires, était une indication suffisamment réaliste pour que le doute ne s'installe plus concernant les développements à venir.

© Maschinenraum (flick.com) – Synthétiseur modulaire "Q960 Sequential Controller module".


LA DÉCOUVERTE D'UN INSTRUMENT

Je ne vous ferai pas l'affront de vous expliquer ce qu'est un synthétiseur, surtout si vous êtes un féru du site (sinon, consultez les quelques liens placés en bas de page). Aujourd'hui, il est bien délicat de comprendre l'attractivité et l'émerveillement produit par les premiers synthétiseurs analogiques. Pour les utilisateurs de l'époque, il représentait le premier instrument capable d'exécuter directement des sons en public, et ce, sans les élaborer en laboratoire. C'est cet atout qui a permis à toute une instrumentation électronique d'occuper à son avantage les lignes mélodiques de la musique pop et d'aménager autrement le son dans le jazz.

Il faut également préciser qu'à la même époque, l'évolution du matériel ne concernait pas uniquement les claviers, mais que les périphériques, tels que les séquenceurs et les boîtes à rythmes, permettaient d'enrichir l'expérience et la créativité des musiciens. Les pianistes qui se formaient sur le tas, bien évidemment, devait apprendre à jongler avec un matériel sans autre référence que leur ingéniosité à décortiquer les mille et une combinaisons de chaque nouveau modèle. L'idée de prétendre reproduire le son d'une cloche, d'une trompette, d'un lead qui soit original, comme la construction d'une série d'arpèges automatisés, impliquait nécessairement pour son utilisateur des connaissances musicales électrotechniques accompagnées d'une dose d'intuition.

Pour un débutant qui souhaitait se lancer, le synthétiseur monophonique représentait le B.A-BA (il l'est aujourd'hui encore). Le MiniMoog, apparu au début des années 70, servira d'école à de nombreux pianistes sur scène en étant facile d'utilisation et en générant des sons à la qualité incontestable. L'emploi du PolyMoog suivra et conviendra également à une destination scénique tout en bénéficiant des avantages de la polyphonie pour mettre en œuvre des ensembles de cordes ou de cuivres.

Cette avancée technologique, dans laquelle les marques japonaises (Korg, Yamaha, Roland) seront loin de faire de la figuration, confrontait l'utilisateur à une technique qui relève des mathématiques et de la physique. Durant de nombreuses années, le synthétiseur sera perçu par les pianistes comme un remplaçant qui venait se substituer à des instruments acoustiques. Ici une flûte, une timbale ou là un ensemble à cordes. Le mellotron, que l'on ne peut classer dans les synthétiseurs puisqu'il utilise des bandes préenregistrées, témoigne déjà de ce désir d'imitation. Bien des groupes de « Pop Music », à commencer par les Beatles (sur le tard) et le juvénile groupe anglais Pink Floyd, sans compter le rock progressif d'Emerson Lake and Palmer, de Genesis ou de King Crimson produiront une musique évolutive qui convient parfaitement au rôle joué par l'instrument, qu'il soit utilisé à petites touches ou de manière plus offensive.


UNE MISE EN PERSPECTIVE DE L'EMPLOI DU SYNTHÉTISEUR

Comment séduire quand ce que l'on propose épouse ce qui existe par ailleurs ? Si tel avait été le cas, le synthétiseur n'aurait été qu'une expérience éphémère, une de plus ! Or, en étant économique à la production et miniaturisé depuis l'apparition des circuits imprimés, mais surtout en étant polyvalent, l'instrument répondait à l'évolution de la musique rock en s'incorporant à sa classique instrumentation, sauf que... Là où la guitare électrique, la basse et la batterie sonnent sensiblement de la même façon, le synthétiseur laissait immédiatement entrevoir un bouleversement du langage musical par ses capacités à créer des sons de toutes natures.

En présence d'un tel constat, les pianistes étaient pourtant préoccupés. Ils craignaient que le synthétiseur ne soit qu'un gadget placé entre leurs mains. D'ailleurs, l'une des premières tentatives commerciales dans lesquelles l'instrument prendra place, le Pop-Corn des Hot-Butter, en 1972, ne sera en aucunement façon très flatteur en utilisant une sonorité proche d'un jouet pour enfant, au son rigide et sans réelles nuances. En fait, ce qui a par-dessus tout permis au synthétiseur de ne pas disparaître et d'entrer en résistance, c'est sa faculté à répondre positivement à bien des contextes et des sollicitations.

Les premiers à comprendre cette position confortable ne seront pas de purs pianistes mais plutôt des musiciens techniciens qui, saisissant l'opportunité de briller, utiliseront l'instrument sans ménagement dans les radios et la télévision, notamment à travers les jingles publicitaires. Ces galops d'essais, discutables, allaient cependant encourager la commercialisation des synthétiseurs, même si la plupart des modèles les plus aboutis demeuraient encore des fleurons seulement capables de faire rêver sur catalogue à cause de leur prix exorbitant.

© Dr. Space (Flickr.com) – Christof Franke (Tangerine Dream)

L'état de grâce, si l'on peut dire, nous viendra d'Allemagne, quand des musiciens d'Outre-rhin décidèrent de transformer radicalement l'emploi du synthétiseur au sein d'un mouvement établi à l'aube des années 70 : le rock cosmique.

Pour eux, il ne s'agissait point d'établir un pont avec un pseudo « space opéra », mais de poser une réflexion approfondie de l'utilisation de l'instrument dans un contexte à même de révéler sa force créative. Qualifié de planant, ce « rock éthéré » allait réunir des compositeurs de talents, à l'image de Klaus Shulze, Peter Baumann ou des groupes comme Ash Ra Temple et Tangerine Dream. À l'écoute, l'auditeur devait être transporté par de longues plages évolutives dans lesquelles les sonorités des synthés se croisent, s'étirent, disparaissent et renaissent.

L'autre image qui cadrait avec l'utilisation du synthétiseur était de communiquer directement à notre environnement industriel, celui qui marie l'acier et le béton, et pour lequel le groupe Kraftwerk répondra dans son album Autobahn (1974), avec ce qui faut de « robotisation » pour que la perfection soit de mise (boîtes à rythmes, séquences répétitives, etc.), et ce, même quand le son se veut cosmique.

Chez nous, en France, l'époque reste attachée à l'image de Jean-Michel Jarre et à sa bouffée d' « Oxygène » (1976), un album devenu culte et dont l'œuvre solitaire fera d'autres « petits ». Que nous apprécions ou non sa musique, si de nos jours le public et les musiciens français accordent au synthétiseur un intérêt particulier, c'est à Jarre que nous le devons, bien plus qu'à Vangelis. Des premiers disques produits par le compositeur français, il ressort un indéniable désir de concilier innovation et vulgarisation ; une facilité d'écoute qui lui a parfois été reprochée, mais qui cache pourtant de nombreuses astuces et avancées. Le musicien grec Vangelis est pour sa part un maître d'œuvre qui a forgé son talent dans son rapport à l'image (documentaires animaliers, entre autres), mais dont la finalisation artistique est certainement plus conventionnelle, ce qui est loin d'être un reproche quand on sait que la musique qu'il a produite recèle bien d'autres finesses.


UN BALISAGE NÉCESSAIRE

Dans les années 60/70, le synthétiseur était-il utile pour embellir la musique ou n'était-ce qu'un moyen de détourner l'attention ? Dit autrement, quel a été l'apport de l'instrument avant que tout bascule dans l'ère numérique quelques années plus tard ?

Sans tarder, les États-Unis ont assimilé les sonorités synthétiques, notamment dans le jazz. Plusieurs pianistes virtuoses s'empareront du synthétiseur comme étant un prolongement fétichiste de leur émotion, capable de transcender leur musique jusqu'au boutisme. Pour des destinations bien différentes, quatre noms ressortent du lot : Chick Corea (Return to Forever), Jan Hammer (Mahavishnu Orchestra) Herbie Hancock (The Headhunters) et Joe Zawinul (Weather Report). De son côté, la soul ne sera pas en reste, surtout grâce à Stevie Wonder qui redonnera à la musique afro-américaine une éclatante santé (The song of the key of life - 1976).

© Viennpixelart (wikimedia) – Joe Zawinul (2004).

Mais c'est sans doute l'Angleterre qui est parvenu à transformer le rôle joué par le synthétiseur de la façon la plus personnelle et élogieuse. Par leur manière d'intégrer ses vibrations et ses bruits, les Pink Floyd lui doivent beaucoup, de même que leur ancien ingénieur du son, Alan Parsons, qui confiera à l'instrument une place royale au sein d'orchestrations, parfois pompeuses, mais faisant appel aux meilleurs musiciens anglais. N'omettons pas de citer Yes et les interventions de Rick Wakeman, dont l'alchimie diabolique a fini par colorer la dimension baroque du groupe, ni Brian Eno et Keith Emerson. Alors que le premier est le type même de musicien issu de la technologie, maniant l'étrange avec Phil Manzanera et le surréalisme avec David Bowie, le second a su créer au sein du trio Emerson, Lake and Palmer, des sonorités néo-classiques électrifiées, que ce soit en maltraitant l'orgue Hammond ou en diabolisant ses synthétiseurs.

À vrai dire, bien d'autres noms auraient mérité de figurer dans cette page, car presque tous les leaders de la « Rock Music », de Paul Mc cartney à Elton John en passant par Frank Zappa ont réussi le tour de force d'utiliser le synthétiseur avec autant de spontanéité que leur instrument de prédilection, guitare, basse ou piano.


EN CONCLUSION

Moyennant l'utilisation du synthétiseur, la plupart des pianistes branchés, que ce soit sur scène ou en studio, ont eu durant ce tournant capital, la possibilité non seulement de s'exprimer à loisir en soliste, mais également d'être entré en connection avec un instrument capables de modifier en profondeur leur rapport au son et à la créativité. Certes, les expériences de terrain positives ont mis un certain temps à se dessiner et à exister. Quarante ans après la naissance des Ondes Martenot, le synthétiseur n'autorisait pas tout, mais il avait su s'échapper du carcan dans lequel quelques « musiciens » l'avaient trop vite catalogué à tort.

À l'orée du mouvement punk, qui souhaitait revenir à la spontanéité et à la simplicité du rock primitif, le synthétiseur s'éloignait à grands pas de cette tourmente en empruntant d'autres routes, subissant au passage plusieurs révolutions technologiques capitales, tout particulièrement la FM et sa cousine, la synthèse par distorsion de phase.

par ELIAN JOUGLA (Piano Web - 04/2024)

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