LES QUESTIONS DU CANDIDE



LES CODES DU PIANISTE DE JAZZ ET SES SUBTILITÉS

Pour certains musiciens, le jazz, c'est l'univers de la débrouille, alors que pour d'autres, c'est une musique d'une exceptionnelle force et dans laquelle on dialogue ouvertement, sans filtre. Quand un pianiste a pour seule habitude l'interprétation de partitions écrites, le passage dans le jazz ne s'opère pas sans douleur pour de multiples raisons. Outre l'apprentissage d'une culture, il est indispensable d'étudier un autre langage et d'accorder à la musique non écrite, une place conséquente.


ABORDER LES GAMMES JAZZ

Existe-t-il des gammes jazz ? Non. Dans la réalité, les « gammes jazz » ne sont que des « modèles », des « transformations » à exploiter qui s'ajoutent à celles utilisées pas la musique classique (majeures et mineures), à l'exemple des gammes pentatoniques et blues présentées ci-dessous.

La gamme pentatonique majeure part de la gamme majeure en supprimant la quarte et la septième, ce qui donne en Do : do, ré, mi, sol, la. La gamme mineure pentatonique équivalente utilise les mêmes notes, mais une tierce mineure en dessous (1 ton 1/2) : la, do, ré, mi, sol... Ce qui donne en Do : do, mi b, fa, sol, si b.

En savoir + :

Gammes pentatoniques majeure et mineure.

La gamme pentatonique : utilisation et conseils.

La gamme de blues nous éloigne un peu plus de la gamme majeure tout en étant proche de la pentatonique mineure. Sa couleur caractéristique est si particulière qu'elle seule suffit pour produire sa propre dimension musicale. En Do : do, mi b, fa, fa #, sol, si b.

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La gamme blues au piano : construction et improvisation.

Pour un pianiste de jazz confirmé, la connaissance de ces deux gammes et des « classiques » (majeures, mineures), à tous les tons, est indispensable dès que l'improvisation s'installe.

Autre précision : la gamme mineure mélodique ascendante, comprenant un sixième et un septième degrés naturels, est parfois utilisée avec des accords sortant des sentiers battus (ex : accord mineur avec septième majeure, par exemple). En Do : do, ré, mi b, fa, sol, la, si.

En dernier lieu, rajoutons à ce bref aperçu l'emploi – quelquefois abusif – de notes chromatiques, aux fonctions atonales, et qui peuvent se glisser dans le développement de toutes les gammes.

En savoir + :

Les gammes, leur particularité et leurs usages.

Travailler les gammes dans l'objectif d'improviser.

La connaissance des gammes ne suffit pas. Le pianiste qui s'y emploie a immédiatement conscience que tout devient plus complexe dès que des suites d'accords sont jouées à la main opposée. C'est à ce moment-là qu'intervient la notion de mode (majeur, mineur, etc.) et du rôle de correspondance entre gammes et familles d'accord.


© Anastasia Kolchina (pexels.com)

POUR UN USAGE NOBLE DES HARMONIES

Alors que l'harmonie classique utilise des règles strictes qui vont jusqu'à produire des traités, les musiques vivantes qui englobent le jazz, le rock et le blues ont des priorités toutes autres. En restant simple, tout s'articule autour d'une mélodie chantée ou interprétée par un musicien soliste et accompagnée d'accords joués en rythmes (ces derniers servant aussi de base d'improvisation).

Le nom donné aux accords est basé sur le système de notation anglo-saxon. À ceci, s'ajoute toute une codification qui permet de situer leur nature : majeur, mineur, augmenté, septième, etc. Grâce à ces symboles visuels, le musicien détermine en un coup d'œil et par anticipation l'enchaînement des accords.

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Les accords piano, le B.A.-BA de leur fonctionnement.


FAIRE JEU AVEC LA DISSONANCE

Là où tout diffère avec la musique classique tient dans le sens donné au mot « dissonance », celle-ci considérant les notes qui n'appartiennent pas à l'accord fondateur comme de la dissonance qui doit être résolue, alors que dans le jazz, l'harmonie est là pour informer le musicien sur les notes de la gamme qu'il sera tenu d'éviter (fausses notes). Toute cette pratique se résume fréquemment à des tensions harmoniques acceptables ou tolérées en fonction de leur usage.

Sur une gamme de Do majeur, insister sur la note fa (quarte ou onzième) en jouant un accord de Do majeur n'est pas du plus bel effet pour l'oreille, alors que la même note, mais qui servira de transition mélodique, ne posera aucun problème particulier. N'oublions pas non plus, que l'importance de la dissonance est fonction de la disposition des notes de l'accord. Exemple : la seconde do/ré n'aura pas la même « agressivité » que la neuvième do/ré. C'est dans ces infimes détails de présentation des accords que se niche une immense part de l'art de l'harmonisation dans le jazz.


L'ENRICHISSEMENT DES ACCORDS

La « couleur jazz » a ceci de particulier que le seul usage des accords simples (majeur, mineur, diminué...) ne suffit en aucune manière. Pour les pianistes et les guitaristes, ils ne sont pas suffisamment « tendus », ce qui a encouragé l'exploitation de toutes les notes de la gamme par saut de tierce pour faire naître les familles d'accords de septième, neuvième, onzième et treizième.

La forme la plus courante consiste à ajouter la septième. Toutefois, l'usage des autres intervalles n'est pas à exclure, même si leur pratique demande quelques précautions. Dans ce domaine, la connaissance des modes est d'une utilité considérable, car elle permet, avec précision, de délimiter les types d'accords enrichis pouvant être utilisés. En phase d'apprentissage, l'exploitation du mode majeur doit être la priorité.

Précisons par ailleurs que l'enrichissement des accords n'est pas nécessairement mentionné sur les partitions et qu'il appartient au musicien qui le souhaite de faire cette recherche. Habituellement, les partitions se limitent à indiquer les accords de septième et, de temps en temps, de neuvième. Dans le jazz, la septième est considérée comme faisant partie de l'harmonie de base et les autres extensions comme un prolongement logique.

De son côté, le blues a pour particularité d'employer la septième de dominante (5ᵉ degré) et ses extensions, tandis que dans le folk ou la country, les accords basiques utilisent des notes étrangères (cas de l'accord sus 4 - avec intervalle de 9ᵉ ou de 11ᵉ – qui se résout vers l'accord de 7ᵉ de dominante) ou des accords de substitution. Généralement, l'enchaînement des accords simples repose sur des règles moins contraignantes que dans la musique classique... Mais il va de soi que tout dépend du contexte et du musicien qui prendra la peine d'enrichir harmoniquement ou non la chanson.

En savoir + :

Découvrir les accords jazz au piano (principe et développement).

Écriture et chiffrage des accords en musique jazz et classique.

Comme pour les gammes, la connaissance des accords ne suffit pas pour devenir un pianiste de jazz accompli. Il est essentiel de savoir manipuler ces connaissances pour en tirer parti à son avantage. Au-delà des renversements à pratiquer, il existe des exercices à mettre en œuvre, comme travailler des progressions d'accords par famille, puis en les mélangeant afin de les avoir sous les doigts ; la progression II-V-I restant la plus connue de toutes.


© Mamix (flickr.com)

L'ART DE L'ACCOMPAGNEMENT

L'autre pratique à ne pas négliger est l'accompagnement pianistique, celui qui consiste à épauler le soliste. Dans ce cas, les deux mains du pianiste sont sollicitées et dans l'obligation de répartir les notes des accords avec un équilibre sonore harmonieux, tout en développant une polyrythmie efficace afin de réaliser des échanges spontanés avec le soliste.

Le développement des accords à deux mains part fréquemment de la fondamentale à la main gauche quand le pianiste n'est pas soutenu par un bassiste. Sinon, le renversement des notes restantes s'opère librement. Néanmoins, il arrive que la basse soit indiquée sur la partition sous un trait oblique, ce qui oblige le pianiste (ou le bassiste) à s'y conformer. On peut de cette façon produire une ligne de basse conforme à l'idée du compositeur. Par exemple : Do – Do/si – La min – La min/sol – Fa, etc.

En savoir + :

Présenter des accords à deux mains (en trois parties).


TRANSPOSER

Pour un pianiste, la véritable difficulté est de se familiariser aux accords au point de s'en servir avec facilité tout en y apportant une part de créativité. Une autre notion capitale et formatrice permet cela : la transposition.

En savoir + :

Transposer un morceau de musique – Les méthodes.

Pour s'y préparer correctement, indépendamment d'une parfaite connaissance des accords, le jeu des transpositions doit être construit comme un cycle qui permet d'aborder tous les tons pour revenir au point de départ. Par exemple, en utilisant le cycle des quintes vers le bas avec deux accords (II-V : Ré min 7 et Sol  7, puis Sol min 7 et C 7, Do min 7 et Fa 7, etc). La transposition peut être également chromatique ou par ton et basée sur un II-V-I (en montant ou en descendant).

L'effort consenti dans le domaine de la transposition n'est jamais vain, car il permet une libération évidente du jeu chez le pianiste, qu'il soit soliste ou accompagnateur.


EN CONCLUSION

Un talentueux pianiste de jazz doit être en mesure de comprendre et d'anticiper l'interprète qu'il accompagne, sa personnalité et son style. Mais quel que soit le contexte ou le niveau d'expérience, il est directement confronté à un choix : improviser pour se libérer du cadre imposé par la partition au détriment, peut-être, de la stabilité rythmique et harmonique. À ce niveau-là, ce ne sont plus les connaissances ou les exercices qui apportent une réponse, mais seulement une sorte de « don », un sens inné de combinaisons rythmiques et harmoniques qui servent de vérité. Une technique parfaite n'apporte pas nécessairement l'originalité attendue. Il en est de même avec la virtuosité. Il ne faudrait surtout pas oublier que le jazz, c'est un son et une alchimie de procédés qui ne s'écrivent pas dans une continuité ou une reconduction d'un style, mais davantage sur des avancées novatrices.

par ELIAN JOUGLA (Piano Web – 02/2024)

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