ANALYSE MUSICALE



LA PARTITION ET SES ÉCRITURES, DU COMPOSITEUR À L’INTERPRÈTE

Liée à l’étude du solfège et à la pratique des instruments, la notation musicale a vécu au cours des siècles de nombreux ajustements pour s’adapter aux approches musicales des compositeurs. Aujourd’hui encore, à l’heure des musiques informatisées, la bonne vieille notation est toujours là, prête à défendre tous ses avantages…


LE POURQUOI DES ÉCRITURES MUSICALES

L’élaboration des premiers principes de l’écriture de la musique en Occident remonte au Moyen-Âge avec les neumes, puis traverse une seconde étape décisive avec l’arrivée des chants polyphoniques. Les musiciens prennent vite conscience qu’une musique écrite offre deux choix : le premier est de pouvoir reproduire ce qui est écrit, et le second de coucher sur le papier toutes les idées, des plus complexes jusqu’aux plus inattendues.

Ce double choix, bien évidemment, a justifié le désir d’aller de l’avant pour ériger, si possible, une notation musicale avec des règles encore plus précises et compréhensibles. Pour répondre à la majorité des défis lancée par les compositeurs, la notation musicale a dû traverser plusieurs étapes visant à l’améliorer : naissance des mesures, apparition de nouvelles clés, suppression de signes ou transformation esthétique de certains autres, etc.

Comparativement à une transmission orale approximative ou manquant de clarté, l’objectif de la notation est de faciliter la transmission et l’exécution d’une œuvre en respectant le plus fidèlement possible les idées du compositeur. Les écritures permettent de jouer aussi bien une simple mélodie enfantine qu’une valse pour piano de Chopin ou une symphonie à la tête d'un grand orchestre, tout en répartissant avec soin et discernement le rôle donné à chaque instrument.

De même, toujours grâce aux écritures, des signes sont apparus pour éviter de répéter un passage plusieurs fois de suite afin d'alléger la longueur de la partition. Cet aspect pratique n'est évidemment pas le seul qui ait séduit les compositeurs. Les écritures permettent aussi de transposer dans différentes tonalités et d'utiliser des signes spécifiques relatifs à chaque instrument. Les écritures ont surtout permis à des compositeurs ambitieux de s’attaquer à des œuvres imposantes de plusieurs dizaines de pages sans crainte de voir leurs idées trahies.

Nul doute, la notation musicale offre bien des avantages pour un compositeur qui souhaite voir ses désirs se réaliser et être respectés, mais qu’en est-il de l’instrumentiste qui doit de son côté appliquer à la lettre ce qu’imposent les écritures ?

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LE RAPPORT À LA PARTITION

Si l’on peut créditer quelques avantages à savoir lire des partitions, on sait également que leur déchiffrage rend impossible le contournement des difficultés qui se présentent. L’instrumentiste doit être rapidement dans une position de dominant s’il ne veut pas voir sa confiance et ses capacités le lâcher.

Chez le musicien autodidacte, c’est souvent l’abondance de signes qui provoque le découragement, rarement l’acquisition des règles qui les entourent. Un apprentissage oral, auditif, semble toujours plus rapide qu’un apprentissage visuel où l’on doit identifier et gérer la valeur de chaque signe. Cette opinion est généralement alimentée par le fait qu'une partie de la maîtrise instrumentale est déjà là et que la lecture donne la fâcheuse impression de revenir en arrière.

Les musiciens ayant eu un apprentissage de lecture à vue en même temps que l’étude de l’instrument échappent généralement à ce sentiment d’impuissance. De là naît aussi une certaine confiance vis-à-vis de la partition et de son utilité. Bien conduite, la notation musicale évite surtout la dispersion de la pensée. Elle implique le respect et l’identité de l’œuvre. Elle permet de préserver l’intégrité de la musique d'un compositeur bien plus efficacement que la transmission orale qui ne ferait que l’altérer ou la détériorer au fil du temps.

Si le musicien est aguerri à la lecture de partitions, il n'y trouvera donc que des avantages. En plus de travailler tout ou partie d’une œuvre à sa guise, d’y revenir quand il le souhaite, de la mémoriser également, une partition sera aussi un moyen de jouer une musique quelconque sans l’avoir entendu au préalable : donc de découvrir, grâce aux écritures, des œuvres ou des compositeurs qui lui sont inconnus.


NAISSANCE D'UNE CONTRE-RÉACTION

Cependant, la notation musicale telle qu’elle se présente en occident possède le défaut de cadrer fermement la musique derrière des valeurs mathématiques, de discipliner le musicien pour qu’il devienne un être efficient, tout en conditionnant ses qualités artistiques et sa liberté d’interprétation aux seuls impératifs de la partition.

Au début du 20e siècle, quelques compositeurs français et américains souhaiteront faire bouger les lignes. Une contre-réaction verra le jour avec l’apparition d’œuvres écrites laissant plus de liberté à l’interprète (Satie ou Stravinsky, par exemple). D’autre part, l’arrivée de la musique de jazz sera une réponse probante à la libération de la partition et de sa notation en semant à tout vent des phrases improvisées.

Par ailleurs, tous les peuples n’utilisent pas le modèle de notation musicale utilisé en occident, notamment les cultures orientales et l’Inde en particulier. La musique indienne dispense un enseignement mêlant écrit et transmission orale, donnant ainsi accès à d’autres systèmes de notation. En Inde, ne pas savoir lire la musique n’est pas forcément ressenti comme étant une infériorité à créer et à jouer d’un instrument. La transmission orale est une tradition ancestrale qui a prouvé à maintes reprises son efficacité en produisant des musiques d’une grande complexité rythmique et mélodique. Là où les douze demi-tons et les mesures simples règlent la majorité des musiques occidentales, en Orient les pratiques orales permettent d'échafauder des identités sonores basées sur des mesures asymétriques et des gammes autres que la majeure ou la mineure. Si en Inde on chante « Sa, Ri, Ga, Ma, Pa, Dha, Ni », en Chine la pentatonique impose son « Kung, Shang, Chiao, Chih, Yüh » !

Face à la rigidité des partitions, l'Occident a néanmoins réagi. Tardivement certes ! Cette contre-réaction est due au développement des musiques populaires et traditionnelles, des musiques folk et country, du blues et même du jazz par des musiciens autodidactes. Toutes ces musiques continuent de bâtir leur identité en s’affranchissant de la classique notation musicale, en inventant d’autres systèmes pour communiquer leurs particularités. On songe à la tablature qui reste un bon exemple du contournement des signes répandus dans les partitions ; un système qui a notamment les faveurs des guitaristes. Il en est de même avec les grilles d’accord qui se subtilisent aux harmonies écrites. Un codage singulier composé de lettres et de chiffres constitue une synthèse permettant au musicien de développer ses propres présentations d'accords.


COMBATTRE LA PARTITION PAR TOUS LES MOYENS

L’apparition au tout début du 20e siècle des premiers outils d'enregistrement va permettre de pérenniser l'existence d'une musique autrement que par la partition. Ce simple fait va déclencher chez les compositeurs d’alors, une remise en question du rapport existentiel avec la musique, d'autant que le système en place semble avoir tout dit et pousse certains musiciens à rêver de dissonances et de musique atonale.

En théorie, si les instruments sont des outils permettant l’exécution d’une œuvre et la partition le plus sûr moyen de la respecter, on pourrait considérer qu’une fois la musique enregistrée sur un support magnétique ou autre, la partition perd de son intérêt : l’œuvre est mémorisée et on est sûr qu’elle restera gravée dans les sillons d’un disque ou stockée sur un disque dur durant des années. En poursuivant ce raisonnement, on pourrait même se demander ce qui justifie l’enregistrement d’une énième version de la 9e Beethoven ou de la 40e symphonie de Mozart, si ce n’est peut-être de subjectives qualités d‘interprétation accompagnées de prises de son encore plus performantes ! Cela dit, l’enregistrement audio possède une qualité suprême pour le musicien qui ne sait pas lire la musique : celle d’apprendre un morceau à l’oreille et au rythme qui lui convient !

Une première question se pose : " La partition conserverait-elle son « autorité » parce qu'elle permet de transmettre des connaissances dans le domaine de l’apprentissage ? Ne faudrait-il pas s'en inquiéter ? " Dans le futur, il ne faut pas exclure un bouleversement des attentes du musicien et du compositeur, surtout quand le rôle joué par les progrès techniques conjugués à la puissance du numérique transformera radicalement la conception des œuvres et la façon de les interpréter. La partition telle qu’elle existe aujourd’hui trouvera-t-elle toujours sa place, pour qui, et dans quel but ? L’interprétation d’une œuvre musicale sera-t-elle encore du ressort d’un exécutant ordinaire asservi (l’homme) ou d’une machine dominatrice ?

La valeur que nous accordons aux écritures musicales, telles que nous les connaissons aujourd’hui, se justifie simplement dans la relation que nous entretenons avec elle. Paradoxalement, on peut très bien écouter de la musique construite sur ordinateur, on peut même lui reprocher quelques défauts de jeunesse et l’apprécier quand même. La MAO, comme on l’appelle, fait désormais partie du paysage musical et on sait que son intégration ne peut plus être remise en question. Les compositeurs doivent faire avec, quitte à soumettre leurs brillantes idées dans les traverses de quelques heureuses programmations savantes.

En dépit de ces développements et de ces orientations inéluctables qui enflamment certains et qui chagrinent les autres, la notation musicale traditionnelle continue d’exister malgré son manque de souplesse à faire ressortir l’essence de la vie musicale qu’elle contient. Même la création de nouveaux systèmes de notation orchestrale servie par quelques créateurs en mal de reconnaissances n’est pas parvenue à déstabiliser les classiques écritures qui, à ce jour, reste encore l'unique système accepté par la majorité des musiciens… Un constat qui court encore, mais jusqu’à quand ?

Par ELIAN JOUGLA


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